En septembre 2016, je suis parti 2 mois au Népal pour tenter l’ascension de la face sud du Nuptse 7861m.
Voici le récit de notre tentative plus quelques belles images de notre acclimatation que nous avons terminé sur un très joli sommet dont je ne connais pas le nom au alentour de 6230m.
Chukhung 4730m, notre camp de base. Au fond : le Nuptse 7861m et le Lhotse 8516m.
Thamel, le quartier touristique de Katmandu.
Je ne suis pas suicidaire. J’aime la vie, j’aime ma copine, ma famille, mes amis. Mais j’aime le style alpin. Ca donne un sens à ma vie de grimpeur.
L’alpinisme de haut niveau n’est pas un sport comme les autres. Le style alpin en Himalaya encore moins. Là haut le jeu n’est pas le même.
Vue d’en bas tout parait possible. On rêve de grandes aventures comme l’ont vécu de grands himalaystes, Doug Scoot, Voytek Kurtica,…et pleins d’autres. Mais il ne faut pas se voiler la face. Ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre.
Pour accéder à son rêve, il faut en accepter ses risques. Car là haut l’engagement prend tout son sens et les conséquences sont bien définies.
La piste d’atterrissage de Lukla.
Sur la route de l’Everest.
Un lodge à Mojo. Tout est calme, la saison de trek commence en octobre.
Les porteurs qui ravitaillent les multiples lodges de la vallée du Khumbu.
Namche Bazar 3440m. Accessible uniquement à pied… (ou en hélicoptère pour les riches)
De retour sur terre, 1 mois plus tard je m’interroge toujours sur le choix que j’ai fait de passer à gauche plutôt que par la droite… Ce choix fait entre autre partie d’une des raisons de notre abandon aux environs de 7400m, à 14h après 8h d’effort, au sommet d’une crête neigeuse trop raide.
Gauche ou droite, jamais cette question ne m’aura autant tourmenté tout au long de cette 5ème journée à grimper dans cette immense paroi.
Le 15 octobre 2016, je marche sur la moraine au pied de la face sud du Nutpse avec mes 3 compagnons de cordées. Hélias comme moi, avait déjà posé ses pieds et ses yeux un an plus tôt, ici, à quelques mètres de la rimaye. L’an dernier, des conditions trop sèches n’ont permis aucune tentative. Nous n’avons pu qu’observer, nous inquiéter, rêver… Malgré les innombrables chutes de pierres liées à la sécheresse, l’idée d’ouvrir une nouvelle ligne à cet endroit s’était définitivement ancrée dans nos têtes. Cette année Robin et Fred sont avec nous pour reformer la cordée qui avait si bien fonctionné en 2014 au Pérou.
Ce matin le moment tant attendu est arrivé !
Un rêve est en train de prendre jour. Nous sommes au pied de la face sud du Nuptse et nous allons grimper dans cette muraille immense ! Oui, oui la face sud du Nuptse ! Incroyable, après des années à y penser. J’y suis !
Le jour se lève tranquillement. Tout est calme, personne ne parle. Mais dans nos têtes, c’est différent. La tension accumulée ces derniers jours, l’envie d’en découdre, les doutes, les peurs… Il peut s’en passer des choses dans la tête d’un alpiniste avant de s’élancer dans une grande paroi. Mais la haute altitude, c’est encore différent. Mise à part la récente expérience d’Hélias au Nanga Parbat, pour nous autres c’est l’inconnu.
Trop affairé sur mon propre sort, je ne prête pas une grande attention à mes compagnons. Je tente de ne pas trop transpirer, habillé dans ce pantalon doudoune et mes autres multiples vêtements. Ne pas aller trop vite, doucement, tranquille, ne pas se cramer… Hélias à l’air enthousiaste. Il marche devant. Robin le suit. Derrière moi, Fred à l’air tendu. Après une frontale récalcitrante, c’est le camelbag qui joue avec ses nerfs.
Notre lodge à Chuhkung. Derrière, la face nord de l’Ama Dablam 6812m.
Mais rapidement l’action laisse place à la réflexion
Une fois passée la rimaye un sifflement nous rappel à l’ordre. Ce n’est plus l’heure de rêvasser ! Et oui ce grand plateau aux airs débonnaires que nous devons traverser n’est pas si accueillant. Sauf pour les pierres !
Woua c’est pas passé loin me dis-je, on a eu de la chance. On aurait jamais du s’arrêter ici…
Les sens maintenant en éveil, nous traversons ce plateau plus ou moins vite selon notre appréhension du risque. Chacun fait sa propre trace pensant avoir fait le meilleur choix. Mais nous allons tous dans la même direction. Vers le haut !
Sur un éperon bien abrité, la pression dissipée, on se retrouve tous au pied des premières difficultés proprement dites. C’est ici qu’on sort la corde. Plus question de partir chacun de son côté. Chaque décision devra être prise en concertation et approuvée par tous. Facile à dire…
Quelques longueurs plus tard, nous sommes encore dans l’ombre. Mais 1000 m plus haut le soleil tape déjà. Il y a du mouvement dans l’air. Les relais sont choisis pour leur fonction de bouclier naturel. Nous arrivons rapidement au pied de notre premier doute. Un ressaut vertical en rocher qui barre l’accès à une grande pente de neige.
En montant au camp avancé au pied du Nuptse.
Il y a de la glace ! Ca va passer ! Déjà des difficultés sérieuses à surmonter. Mais en même temps si c’était facile, serions-nous là ?
Robin après un effort important à déjà 6000 m, en termine avec ce premier crux, wi 5+. pendant ce temps Fred et Hélias maçonnent notre emplacement de bivouac.
Abrités contre la paroi surplombante, Les tentes trouvent tout juste la place qu’il leur faut. On «chill» tranquille au soleil. Nous sommes tous soulagés. Tout se déroule mieux que prévu. Tout le monde est optimiste. Pourtant demain s’annonce comme une journée délicate.
En effet, notre prochain emplacement de bivouac le plus probable est à plus de 500m. quelques doutes sur l’itinéraire sont encore présents. Au milieu, le passage le plus exposé de la voie. C’est l’unique goulotte qui donne l’accès à la suite de l’aventure. Elle résulte d’un entonnoir qui récolte tous ceux qui peut couler ou tomber du dessus. Sûrement qu’elle prend forme de cette façon ! Difficile d’estimer le nombre de longueurs dures. Il faudra partir tôt pour limiter la chance de ne pas avoir de chance…
Dernière partie de l’acclimatation, en chemin vers l’Amphu Laptsa, un col à 5780m.
2ème jour. 16 octobre. 14h, relais au pied de la fameuse goulotte. 2h trop tard. C’était plus dur que prévu, comme par hasard. Fred s’est d’ailleurs fait surprendre en partant en tête avec le sac sur le dos. Il ne fera pas la même erreur pour les longueurs suivantes ! Dorénavant nous hisserons le sac du leader quasiment tout le temps. La raideur de la paroi joue en notre faveur pour une fois. Les projectiles les plus inquiétants sont envoyés loin derrières nos têtes. Mes camarades m’ont réservé LA longueur, quelle honneur ! En même temps c’est moi qui m’était vanté quelques jours plus tôt de vouloir grimper cette longueur à tout pris. Bin une fois au pied ça fait moins envie d’un coup… Je quitte lentement le relais en regardant le sommet de la goulotte. C’est de là que tout s’échappe comme l’eau sortant du trou d’un arrosoir. Que va t’il se passer quand je sortirai la tête dans cette gouttière ? Pas la peine de décrire certaines images qui me traversent l’esprit… L’hésitation s’efface peu à peu pour laisser place à toute la détermination et la concentration qu’il faut au grimpeur engagé dans un chemin encore incertain. Le sommet passe par là !
Arrivé en haut de la longueur, je fais mon relais sur broche à glace au plus simple sur le bord du canal… c’est comme faire un relais sur la bande d’arrêt d’urgence à la sortie d’un tunnel sur l’autoroute… pas très agréable !
En assurant, accroupi, j’observe le flux s’écouler à moins d’un mètre. Jusqu’à un mauvais rebond d’une pierre qui vient la loger directement dans mon torse. Ouf rien de grave si ce n’est que mon relais n’est pas idéalement placé… J’avais bien vu que c’était limite mais il fallait pitonner pour faire un relais 1 m à droite plus à l’abri. Il faut arrêter de tout miser sur la chance Benjamin !
La pierre a cassé le robinet de mon camelbag. Plus d’eau, il est vide et moi humide !
2 longueurs plus haut la tension diminue, on s’écarte de l’autoroute…
6500m, 18h la nuit commence à tomber. On creuse notre emplacement de bivouac. 20h on allume les réchauds… boire, manger, boire, dormir, c’est la seule chose qui importe à présent pour être en forme au réveil. La cohabitation avec Fred se passe pour le mieux dans notre petite tente posée sur une plateforme encore plus petite…
Dans une tente en équilibre installée au bord du vide, ramasser de la neige pour la faire fondre devient plus que pénible. Le froid, le vent, la fatigue, le réchaud qui tourne au ralenti n’aide pas à faciliter la tâche. Pourtant bien s’hydrater est la clé. Pour cela, la répartition des tâches est importante dans ce minuscule abri. Ca peut vite tourner à la catastrophe.
Il fait grand beau, c’est la pleine lune. On y voit presque comme en plein jour. C’est magnifique. Hélias et Robin sont installés 2 mètres en dessous. On dirait qu’ils ont quelques soucis avec la nourriture ce soir… L’altitude commence à se faire sentir.
Au cours de la nuit, une pierre s’invite dans la tente. Le vent ? Sans gravité pour ma tête mais on ne peut pas dire de même pour la tente, elle est bien trouée ! C’est avec ce nouveau courant d’air qu’il faudra dormir à présent.
Pour franchir ce col, les crampons seront utiles !
3ème jour. 17 octobre. Grasse mat’. Fred en pleine forme s’élance dans le bastion. Raide, plus raide que prévu, comme toujours ! En second, avec le sac sur le dos, c’est dur. Mais c’est de la grimpe 5 étoiles ! Il aura fallu 3 grandes longueurs raides et soutenues pour franchir ce ressaut.
Quelques longueurs faciles plus tard, nous sommes à la recherche de notre nouvelle chambre d’hôtel. L’endroit parfait est introuvable. Mes camarades commencent la quotidienne et pénible étape du terrassage. Réticent à passer une nouvelle nuit porte ouverte aux petits cailloux, je me joins finalement à eux. C’est la seule solution pour passer une nuit «confortable».
C’est au tour de Fred de dormir coté vide. Heureusement le vent reste raisonnable. Suffisant pour passer une mauvaise nuit mais pas assez fort pour agrandir et déchirer complètement notre tente !
6850m, le ciel est toujours aussi beau.
On s’arrête bivouaquer juste derrière le col.
4ème jour. 18 octobre. On est au pied d’une petite rampe cachée. Une mini raie des fesses. C’est elle qui va nous conduire à la grande pente terminale 800m sous le sommet. Une trentaine de mètres défend l’accès à cette goulotte encaissée puis c’est encore l’inconnu… Hélias se propose d’y aller. Vu du bas ça n’a pas l’air évident, c’est le moins qu’on puisse dire ! Quand je grimpe la longueur en second, suspendu plein gaz sur mes piolets, j’hallucine complètement. C’est vertical avec même un léger dévers. De la glace creuse au réta… Hélias vient de faire une longueur exceptionnelle. A 6900m, la classe ! Décidément qu’est ce que c’est beau à grimper ce Nuptse ! Il poursuit dans son élan pour nous emmener au sommet de cette goulotte providentielle. La sortie sera finalement le passage le plus exigent de la voie, A2 / M5. Il devra donner le reste de ses forces pour en venir à bout. Un court surplomb franchi en artif dans un rocher délité suivi d’un joli runout l’auront lessivé.
Peut être que ça aurait été préférable de changer de leader pour mieux répartir l’effort entre nous. Moi, Fred, Robin ? Quand on est confortablement installé en second, épuisé par le poids du sac, l’envie de se lancer en tête dans une longueur à l’issue incertaine n’est pas chose aisée. Pourtant c’est bien là le principe de la cordée et sa force. Pour ma part, j’avoue que je n’ai pas insisté pour prendre le relais… ce que j’aurais dû faire. Fred avait déjà mené la cordée la veille. Et Robin ? Il ne semble plus capable de grimper devant. Je crois que je ne suis pas le seul à remarquer ses difficultés. Robin subit de jour en jour l’ascension. Je vois que c’est dur pour lui mais je ne dis rien. Je ne fais rien. D’un autre côté tout ce passe si bien ! Tout se déroule comme nous l’avions imaginé. On est dans le timing, le sommet se rapproche… C’est pourtant un réel problème. Si il tombait malade, si il n’en pouvait plus. On est tous dans le même bateau. Pas question d’abandonner un copain sur la montagne. Je chasse toutes ces idées de ma tête, il faut continuer à grimper.
En France, Nicolas Féraud veille au grain sur notre avancée. Il scrute la météo et nous informe par sms des prévisions pour les prochains jours. Indispensable de nos jours pour éviter les grosses perturbations qui seraient certainement fatales dans ces faces immenses.
Une semaine plus tôt, avant notre départ, le beau temps s’était enfin installé. Un nouveau facteur à prendre en compte. Au bout de plusieurs jours d’attente, le soleil rognait lentement mais sûrement les minces goulottes de la glace qui nous permettront de grimper notre projet… Mais le vent fort en haute altitude empêchait toute espoir de faire le sommet. Le stress était à son comble. On attend tranquillement une super fenêtre météo pendant que la glace se désagrège. On fonce en espérant que le vent baisse. Mais si le créneau se décale, etc, etc… Voilà de quoi occuper nos soirée au lodge à chukhung !
En route vers le sommet à 6230m.
Finalement, une prévision nous informe que le vent serait raisonnable le 20. Feu. Le programme est établi en fonction de ce summit day.
7050m, le bivouac est installé bien à l’abri, presque confortable ! On sort le tél sat pour checker la météo comme tous les soirs. Le plan est d’aller bivouaquer 300 ou 400m plus haut afin de tenter le sommet le 20, comme prévu. Seulement les prévisions ont changé ! Le vent est moins fort le 19 et remonte ensuite. Le 21 c’est plus autour des 100km/h. Il faut rapidement prendre une décision. On reste sur notre plan ? Et si on bute le dernier jour à cause du vent ? Faire le sommet demain devient l’option la plus logique. Il nous reste 700m. Ca fait beaucoup mais les difficultés techniques semblent nettement moins dures que ces derniers jours. Rapidement, le one push en mode light sans sac à dos s’impose commence notre seule chance de faire le sommet. Il faut dire que l’heure déjà avancée, l’espacement des 2 tentes, le vent et le froid ne nous incitent pas à approfondir la discussion. La réunion de crise est vite pliée. La fatigue et l’altitude n’aidant pas n’ont plu à la réflexion.
On partira le plus léger possible pour économiser nos forces et gagner du temps. On allège notre rack de matos. 1 petit jeu de friends, 8 pitons, 4 broches, pas de sac à dos. On garde que 3 cordes. Le dernier sera encordé avec la corde de hissage en 5mm.
On ne prend pas le temps de discuter de l’itinéraire à suivre. Un point qui était pourtant source de beaucoup d’interrogation depuis le début de l’expédition. deux options s’offre à nous. Peut-être que pour certain ce point était clair…
Là haut aux alentours de 7450m, une barre de schiste forme une barrière à la longue rampe en neige qui mène au sommet. Sur la gauche, on avait pu observer à la jumelle un passage possible au milieu d’iceflutes*. Mais grimper dans de la neige aussi raide est toujours délicat et fastidieux. Sur la droite, une longue pente en neige moins raide venait buter directement contre le surplomb de schiste. En longeant cette barrière sur la gauche, un passage serait peut-être possible. Impossible d’en savoir plus. Cette partie étant invisible de tout point de vue.
Robin et Hélias sont couchés. Avec Fred nous faisons de notre mieux pour arrimer la tente à des corps morts de fortunes, ziploc et autres sacs de compressions. Ca serait bien de retrouver la tente et nos duvet à notre retour du sommet !
Je suis prêt pour tout donner. Le sommet est tout proche. Je m’inquiète cependant pour Robin. Il n’a pas l’air au top… je me demande même si il va pouvoir venir avec nous demain…
L’ambiance est génial dans ce couloir !
5ème jour. 19 octobre. 5h, il fait encore sombre. La nuit a été plus dure que d’habitude. L’additif que je rajoute dans l’eau ne passe plus. Impossible de boire. Ca me donne la nausée. Je dois attendre le matin pour boire et refaire de l’eau «nature». C’est bon, ça va mieux. La poudre au chocolat du matin ne m’inspire pas des masses aujourd’hui. Bizarrement, ça sera le gel au café qui fera office de petit dej ce matin, comme Fred. L’ambiance est glaciale à cette heure là. J’entends Hélias râler, «c’est trop tôt !». il a froid aux doigts, il vient de finir d’accrocher leur tente. La nuit à été difficile pour eux aussi. Le duvet d’Hélias a pris feu au niveau des pieds. Une fausse manip du réchaud… Il a du faire un noeud pour éviter l’hémorragie de plumes !
Fred prend la tête des opérations et part devant. Robin est de la partie. Le jour fait vite son apparition. Un peu plus tard, dans les longues pentes en neige, une longue boucle de mou traine sous mes pieds. Je m’accorde donc une pause. J’en profite pour gérer le froid qui empoisonne mes mains et mes pieds. Nos chaussettes chauffantes n’ont pas l’air très efficaces ! Fred cherche de quoi mettre une protection 60m plus haut, il avance à un bon rythme en faisant la trace. Derrière c’est plus facile. Pourtant Robin a du mal à suivre, il a froid aux mains. Je commence a râler dans ma barbe comme je sais si bien le faire. «Mais on devrait même pas être encordé », «ca avance pas». 200m plus haut, Fred fait relais. Il a déjà bien donné pour faire la trace et trainer les 2 brins de 60. Le soleil n’est plus loin. Je propose à Robin de partir en tête pour qu’il puisse se réchauffer plus rapidement. Il préfère rester derrière. Hélias est en dernière position, il vient tout juste de rejoindre le relais. Je pars donc en premier. La pente se redresse légèrement, 55°. 60m plus haut je vois l’arête à gauche. Intuitivement je me dirige vers la gauche. La pente se redresse encore. Il n’y a plus de point d’assurance entre nous. Puis le doute s’installe. Et si c’était à droite ? Je traverse deux ice flute sur la droite pour rejoindre un ilot rocheux pour faire un relais. Je pète de chaud avec ma grosse doudoune et mon masque.
C’est ici qu’il faut choisir. Je fais monter mes copains pour prendre une décision. Il est déjà 11h.
Robin me dit qu’il a froid aux pieds, qu’il ne veut plus continuer. C’est bien ce que je craignait, ça bouillonne dans ma tête… Impossible pour moi de descendre ici. Je lui propose de rabouter nos 3 cordes et de le mouliner sur 180m. Il pourra ensuite rejoindre les tentes à reculons dans la pente… Une idée de génie ! Abandonner mon pote pour que je puisse aller au sommet. Quelle connerie. Heureusement l’idée n’a pas l’air de le convaincre. Il ne sent plus son pied. Un peu agacé, je lui dis de faire quelque chose pour le réchauffer ! Il fait plutôt chaud maintenant ! Il finit par enlever sa chaussure pour masser son pied endormi. Fred est plus compatissant. Il a raison. Ca ne sert à rien de s’énerver ici. Hélias nous a rejoint.
Nous faisons le point sur la direction à suivre. Gauche ou droite ? Robin me demande pourquoi je ne suis pas allé à droite comme si c’était une évidence. Pas pour moi. J’ai peur de buter sous le surplomb de schiste. A gauche ça passe, j’en suis sûr. Personne ne donne un avis tranché sur la question. De plus, il faudrait faire un petit rappel pour passer à droite maintenant. Le pied de Robin va mieux. Je pars à gauche.
A 7400m, c’est la bataille pour avancer dans ces pentes raides en neige profonde. Je mets plus d’une heure pour faire 60m ! Mais le temps file sans que je ne m’en rende compte. Mon esprit est ailleurs, obnubilé par le sommet, attiré comme un aimant, je m’efforce du mieux que je peux pour trouver une solution dans cet univers inconnu. Plus à droite…? plus à gauche…? Difficile de ce repérer entre deux iceflutes. Jamais cette question ne m’aura autant torturé !
Les relais eux aussi me donnent du fil à retordre. Mon cerveau tourne au ralenti. Je ne suis pas efficace. Je m’en rends compte à ce relais. Je peine à trouver le bon piton. Je finis par tous les essayer, chacun à tour de rôle ! Pour finalement un résultat guère satisfaisant. C’est que mes compagnons me font confiance (comme moi quand je confie ma vie en leur relais) pas question de faire un truc foireux. Je rajoute finalement un micro friend. Sur les 60m de notre corde, si j’arrive à placer un point d’assurage c’est déjà bien.
Fred lui aussi s’aperçoit du dysfonctionnement de nos chaussettes chauffantes. Il a déjà épuisé ses batteries. Il me répète à chaque relais qu’il ne se sent pas au top… Je commence à sentir l’échec arrivée. J’ai l’impression qu’on attend que je baisse les bras pour sonner la retraite. Il faut qu’on sorte de là ! Je devine un petit col plus haut. c’est peut-être l’issue de secours vers le sommet. Il faut absolument aller voir ce qu’il y a derrière ! Il faut changer d’iceflute. Les traversées sont plus que laborieuses. Je dois déblayer la neige pour avancer.
Au relais, je me sens bien. J’ai chaud, confortablement installé les pied à plat sur une bonne marche en neige. Contrairement aux derniers jours, c’est très calme. Pas de vent. Aucun objet volant pour me mettre en alerte. Je peux voir l’Ama Dablam vu du haut ! C’est juste grandiose d’être ici.
Fred arrive, il semble avoir retrouvé un peu d’optimisme à la vue de ce petit col. Ca me motive encore plus. La brèche au niveau de la barrière de schiste ne doit plus être loin ! Mais elle est où ?! Peut-être au sommet de cette tour.
La neige forme devant moi un mur. Je creuse comme je peux à l’aide de mon piolet et de mes mains dans cette neige inconsistante.
Je ne me rend plus compte mais nous avançons comme la plus lente des limaces ! 50m/h en moyenne depuis la tente… Ca fait déjà 8h que nous sommes partis.
Cul de sac ! Je suis dans une impasse, en équilibre sur une corniche ! Je craque. Je tape dans la neige, je gueule. Je suis en colère, quel idiot ! Il fallait continuer tout droit ! Je vois la barrière de schiste juste là. Le sommet aussi semble tout proche. Mais à la fois si loin…
Je sais que c’est fini.
Pourtant il suffirait une fois redescendus au relais de repartir droit au dessus par la goulotte en mixte… Mais nous venons de perdre encore une bonne heure. Ce qui n’améliore pas notre moyenne !
J’enterre un pieu à neige et retourne au relais. Hélias, Robin et Fred ont observé la scène. Je ne parle plus. Je réalise que c’est foutu. Ils font un rapide point sur la situation. Je n’écoute même plus, Je suis assommé par la réalité. Nous sommes trop lents, trop faibles.
Il est 14h. Pour Robin et Fred, il faut abandonner. L’idée d’atteindre le sommet de nuit et d’en redescendre indemne est plutôt optimiste. Hélias suit le mouvement.
Il faut se re-concentrer sur les rappels. 1 ou 2 coinceurs ? Ca sera 2. Je me laisse glisser sur la corde. On descend.
Deux rappels plus bas, je m’effondre. Je pleure. Partir à gauche nous à mener droit au but. Je suis complètement abattu.
Nous désescaladons en solo les pentes du matin. Hélias lui aussi a du mal à accepter le but.
De retour à la tente, on discute rapidement d’une deuxième tentative. Mais la fenêtre météo n’est pas terrible. Hélias ne se plaint pas mais le froid du matin à déjà attaqué le bout de ses doigts.
La partie est finie, on plie la tente. Le premier rappel est installé à la tombé de la nuit.
Notre équipe est bien rodée, les rappels s’enchaînent. A 23h, nous sommes à notre emplacement de bivouac du deuxième jour à 6500. On reprendra demain avec le jour.
6ème jour. Les rappels se poursuivent les uns après les autres sans histoire. On redécouvre l’itinéraire de montée. Qu’est ce que c’était classe ! On finit quand même par coincer une corde. Notre corde de hissage s’est sacrement raccourcie au fil de la descente… On l’utilise pour confectionner les abalakov et autres relais de rappels. On continue donc la descente avec 2 brins de corde. A 4 ça fait peu ! Mais nous avons de la chance, c’était notre avant dernier rappel !
Sur la marche de retour au camp avancé. Je suis sur les nerfs. Moi qui pensait rentrer en rampant, me voilà presque en train de courir sur la moraine. Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas comme ça que je voyais les choses…
Que dire de tout ça. Les grands sages nous disent que le principal est de revenir. Oui bien sûr sinon on ne partirait pas !!
Ces derniers jours ont été extraordinaires. La paroi a tenu ses promesses, belle, raide, dangereuse…
Mais pas seulement. Elle nous a aussi beaucoup enseigné. L’excitation de se lancer dans un nouvel itinéraire, affronter l’inconnu est aussi une expérience riche et rare de nos jours dans ce monde ou tout se veut calculé, controlé, sans risques. Nous avons franchi une étape importante dans notre vie d’alpiniste. Celle de la haute altitude en style alpin. Nous avons progressé techniquement mais aussi sur nous-même.
Nous terminerons notre acclimatation en passant 4 nuits sous ce sommet. Au fond : Nuptse, Everest, Lhotse.
Dès que le ciel se dégage, le panorama est incroyable !
Une des leçons que j’en retire, c’est que notre vision de l’engagement est un point clé de la cordée. Il faut être sur la même longueur d’onde quand on se lance dans une telle entreprise. Il faut être animé par le même projet. Avoir le même but. Partir en expé pour «aller voir plus haut» ne donnera pas le même résultat que partir en expé avec un objectif de longue date, mûri depuis plusieurs années. Un piolet d’or n’est certainement pas une raison suffisante pour engager sa vie sur un sommet.
Pour réussir, il faut oser repousser ses peurs, ses propres limites. Etre prêt à aller au bout de soi-même. Mais il y a quoi au bout ? Jusqu’à quand oser deviendrait-il déraisonnable ? Combattre ses doutes reste un jeu dangereux. Trouver la limite est difficile.
A ce moment là, prendre la bonne décision, celle de redescendre avant que l’aventure ne tourne au cauchemar, n’est pas si facile. Il faut savoir rester lucide. Il faut savoir dire stop.
Mon rêve d’atteindre le sommet n’a pas pu voir le jour. La déception reste immense tout comme ce que nous avons vécu ensemble.
Si on y adhère, la haute altitude est une nouvelle étape dans l’addiction à grimper. A quand une nouvelle dose ?