Deuxième quinzaine d’août, en toute subjectivité, avec Julien nous sommes allés rendre visite à l’un des plus beaux itinéraires des Alpes Occidentales, la fameuse Pierre Allain en face Sud de la Meije (TD, 5c, 800M).
Voici le tracé général de la voie Allain-Leininger vu depuis la brèche du crapaud en juillet dernier :
En préambule, il paraît bon de rappeler que cet itinéraire « meijestueux » a une longue histoire. Pour essayer de la faire courte, voici ce que nous pouvons en retenir :
- 1re belle tentative le 4 septembre 1934 par Maurice Fourastier et Henry Le Breton. Une semaine auparavant nos deux compères venaient d’ouvrir la classique arête Ouest des Fétoules. Cet essai en face sud du Grand Pic de la Meije s’est stoppé à proximité des vires du glacier carré, déjà très haut donc, et ce à cause d’une « simple et banale » dispute, si si ! Ils devaient malgré tout bien s’apprécier au regard de tout ce qu’a réalisé leur cordée. On l’espère franchement pour eux puisqu’ils iront même jusqu’à partager leur mort, tragiquement le 19 octobre 1961 (année de la retraite de Maurice), sur les arêtes du St-Robert dans les Alpes-Maritimes. Ils reposent d’ailleurs ensemble au cimetière de St-Martin-Vésubie.
- 1re ascension 8 jours plus tard, le 12 septembre 1934, en un peu plus de 11h par les Bleausards Pierre Allain et Raymond Leininger accompagnés du géologue et alpiniste niçois Jean Vernet. Aujourd’hui, on hésite souvent à parcourir cette voie en chaussons d’escalade ou en grosses chaussures de montagne. Les trois pionniers ont réglé le problème en la grimpant chaussés d’espadrilles (Gouick ?), malins les bonhommes ! Il faut dire que Pierre Allain n’a pas tout à fait fini d’inventer le chausson d’escalade, sa mise au point s’étant étalée entre 1933 et 1935. Après les vires du glacier carré, Allain, Leininger et Vernet sont sortis au sommet du Grand Pic par la gauche de sa facette sommitale, et donc de façon « indirecte ».
- 3e ascension et 1re ascension de la sortie directe au-dessus des vires du glacier carré l’année suivante, le 22 août 1935, par Pierre Allain et Raymond Leininger, en 8h30 et avec seulement 3 pitons… La cordée de Bleausards a été particulièrement prolifique cette année là avec , entre autres, la première traversée des Grandes Jorasses du col des Hirondelles au col des Grandes Jorasses, et la terrible face Nord des Drus. Sauf erreur, pour cette dernière, ils étaient enfin chaussés des fameux chaussons d’escalade fraîchement mis au point par Pierre Allain (sorte de tennis à semelles lisses de caoutchouc). Les auraient ils aussi utilisés pour finaliser le tracé de la directe Sud du Grand Pic de La Meije, qui sait ?
Recentrons nous à présent sur notre affaire. Le premier jour, nous rejoignons le refuge du Promontoire par les Enfetchores. Cette approche d’un peu moins de 4H00 offre une belle vue sur les 800m d’une des 3 grandes faces nord du massif Oisans / Ecrins :
La remontée du glacier de la Meije offre un panorama tricolore très contrasté avec le bleu du ciel, le vert des pâturages et le blanc des glaciers. C’est absolument génial :
Après avoir parcouru le glacier de la Meije, il faut franchir la brèche de la Meije pour basculer versant Etançons, côté Isère. En cette fin août, la rimaye passe encore bien :
Au refuge, nous nous empressons de rejoindre la brèche du crapaud pour observer l’objectif du lendemain. Impressionnant ce que dame nature nous donne à contempler :
Après une courte nuit et un réveil matutinal, c’est de nuit que nous effectuons l’approche, le franchissement de la rimaye (pas si simple ce jour-là) et la première longueur. A propos, dans la descente du crapaud, nous avons bien apprécié les cordes fixes en place gentiment installées par les habitués des lieux.
Cet été la neige est en quantité suffisante sur le glacier carré pour limiter raisonnablement l’aléa de chutes de pierres relatif à l’éboulement d’août 2018. Nous avons donc choisi d’attaquer la voie par son départ originel :
Après avoir gravi le socle, le fauteuil des Autrichiens et quelques gradins, nous voilà au pied des premières réelles difficultés. C’est raide et plutôt compact. Il est difficile d’y distinguer une ligne de faiblesse évidente. D’ailleurs, bon nombre de cordées s’égarent dans ce secteur. Heureusement, aujourd’hui, nous ne serons pas de celles-là :
Arrivé sur la première des trois vires déversées, un des points clefs du topo, Julien lève les yeux. L’air dubitatif, il se demande bien où se cachent les deux vires suivantes. Sans doute se dit-il aussi qu’en 1934 les premiers ascensionnistes ont eu un sacré flair pour trouver leur chemin dans cet océan de verticalité. Lorsque que vous vous trouverez à la place de Julien, il y a fort à parier que vous partagerez aussi son sentiment :
En les regardant vers le bas, les fameuses vires déversées continuent de se faire très discrètes, mais en y regardant de plus près on arrive un peu à les distinguer. L’ambiance, elle, ne se fait pas oublier par sa discrétion. C’est même exactement le contraire, on adore !
Julien négocie parfaitement un petit rétablissement technico-technique sur la dernière des trois vires déversées avant de traverser à gauche pour rejoindre l’énorme cheminée qui défend l’accès aux vires du glacier carré. Derrière lui on aperçoit les névés de la Dibona-Mayer-Rizzi de 1912, en face Sud de la 3ième dent :
La profonde cheminée se remonte plutôt facilement, nul besoin d’être un père noël de haut vol (heureusement pour nous d’ailleurs). En revanche, une vingtaine de mètres avant son débouché enduit d’une suie verdâtre et humide, au niveau d’un second bloc coincé, soit juste au-dessous soit juste au-dessus (relai confortable pour cette seconde option), l’affaire se corse. Il faut quitter la profonde cheminée par la gauche sur quelques mètres, puis s’engager sur une longueur de corde dans un mur peu prisu et compact. Le 5c n’y étant vraiment pas usurpé, nous avons ressenti ce passage comme le plus difficile de toute l’ascension. Julien à la sortie de ce petit crux :
Le relai est à construire dans un chaos de blocs qui marque le sommet de la profonde cheminée :
Une courte longueur droit au-dessus (magnifique dièdre fissuré sur 10 m) puis en légère ascendance à droite permet d’abord de prendre pied, puis de traverser les dites « vires » du glacier carré. Là, le rocher change. Nous quittons les rondeurs granitiques pour empoigner les angles gneissiques. Julien en termine avec la grande fissure oblique à droite de 55 m. Celle-ci démarre de la fameuse vire à bicyclette et aboutit là, dans une niche caillouteuse :
Après avoir relayé dans la niche caillouteuse, franchi le passage aérien dit du « râteau de chèvre », grimpé une autre énorme cheminée de 60 m, Julien se rétablit enfin dans la brèche caractéristique qui marque le pied de la facette sommitale. Derrière lui le paysage n’en finit plus de s’embellir. Au premier plan, on aperçoit la langue glacière qui descend du col du Pavé (3554m), le Pavé (3823m) juste à gauche, et le pic Gaspard (3881m) derrière :
Dans tous les topos, le cheminement et les cotations de la facette sommitale du Grand Pic sont peu précisément décrits. Cette section n’en demeure pas moins sérieuse, et il serait mal venu de la sous-estimer. Avec ses presque 150 m de haut, elle est encore sacrément longue. Heureusement qu’il nous reste Pascal ! En le recontextualisant, cela donne : « tant plus le chemin est long dans l’ascension (ou l’amour), tant plus un esprit délicat sent de plaisir ».
Du plaisir, j’imagine que Julien a dû en ressentir au sommet du Grand Pic de la Meije, après avoir grimpé cette mythique Allain-Leininger et, cerise sur la gâteau, en soulevant cette chose étrange que l’homme d’occident s’obstine à hisser aux sommets de ces montagnes spectatrices :
Après l’ascension du sommet du Grand Pic de la Meije par la voie Allain-Leininger, la seconde course de la journée commence : la traversée des arêtes de la Meije. Le rêve ! Aujourd’hui, ce rêve est partagé avec un couple de jeunes basques français qui, fait peu commun de ce côté là des Pyrénées, ne communique qu’au moyen de l’euskera :
Les fenêtres de tirs photographiques sont innombrables sur cette traversée. Au travers de celle-ci quelques uns des géants du massif des Ecrins paradent : le Pelvoux, la Barre, le Dôme, l’Ailefroide, les Bancs, la Grande Ruine, etc.
L’esthétique descente en rappel de la quatrième dent (ou dent blache) :
La brume envahit la face sud, c’est vraiment trop beau. Le Grand pic de la Meije et l’enfilade des dents, alpinistes au pied de la quatrième, vus depuis le Doigt de Dieu :
Après les trois rappels permettant de descendre du Doigt de Dieu et le parcours gravitaire du glacier supérieur du Tabuchet, nous voilà arrivés au refuge de l’aigle. Nous y passerons la nuit dans une atmosphère authentique qu’on adore.
Après le dîner, nous profitons de la terrasse panoramique pour admirer le déclin du soleil :
Après le petit déjeuner, nous profitons à nouveau de la terrasse panoramique pour cette fois-ci admirer le lever du soleil. On ne se lasse pas !
Un grand bravo Julien pour cette première « grande » ascension réalisée avec brio ! On espère qu’elle en appellera beaucoup d’autres au moins aussi belles.