Le lundi 13 novembre dernier, avec le solide Marc, nous avons gravi une face singulière et particulièrement sauvage : la paroi ESE de la montagne de Beaussebérard (2082m), dite de la « Baume au Vent ». Elle se situe juste au-dessus du très confidentiel petit village d’Aurent. Quelle formidable aventure que nous y avons vécu !!!
Aurent et la « Baume au Vent » de la montagne de Beaussebérard :
Cette paroi, de par ses faux airs dolomitiques, dénote franchement dans le paysage grimpo-alpinistique de l’extrême Sud-Est des Alpes. Pour en prendre le pouls, nous l’avons gravi par l’une des deux voies qui la parcourent : « On s’excuse », 300m et officiellement TD/6a+. Aussi prudes que nous puissions l’être, une petite demie cotation supplémentaire aurait été à mille lieux de nous choquer.
Voici les tracés lointains des deux voies, à gauche « Kev-out la croix » d’Enzo Oddo et Cédric Bervas en 2017, et à droite « On s’excuse » de Stéphane Benoist et Jean Gounand en 1998 :
Là, petit grossissement des deux tracés :
Et surtout ici, l’excellent topo de Stéphane Benoist :
La descente du col du Fam (parking) sur le village d’Aurent dure environ 40 mn. Autant vous dire qu’avec un spectacle comme celui-ci, ces 40 mn sont presque trop courtes :
Les journées sont courtes en cette période. C’est donc soucieux d’optimiser l’heure du départ matinal que nous avons pris le parti de passer la nuit au gîte d’Aurent. Ce gîte est en accès libre (oui, vous avez bien lu !). Hormis de quoi se couvrir, il y a toutes les commodités nécessaires, y compris l’accueil chaleureux des habitantes d’Aurent (notez que celle-ci est une locale fidèle au poste, cf. page 59 de l’incontournable « Alpes-Maritimes – Rondonnées Alpines – 250 sommets« ) :
Comme évoqué précédemment, les journées sont courtes en cette mi-novembre. De plus, l’entreprise n’est vraiment pas à prendre à la légère : peu de voies, des voies peu ou pas répétées, de grands noms, cqfd…. Fatalement, pour les petits grimpeurs que nous sommes, le départ sera des plus matinaux :
Ce printemps nous nous étions faits surprendre avec un départ beaucoup trop tardif au regard du sérieux de l’entreprise. Nous avions renoncé à R4 craignant d’être rattrapés par la nuit avant de terminer notre escalade. Heureusement que nos aïeux, en l’occurrence Jean Charlet-Straton lors d’une tentative d’ascension du Petit Dru le 13 juillet 1876, ont eu l’idée clairvoyante d’inventer la technique du rappel :
Ce matin, la bartasse dans l’énorme éboulis qui défend l’accès à la paroi n’est pas non plus à sous-estimer. Un pas en avant, trois pas en arrière, il nous aura fallu 50 bonnes minutes et 200 petits mètres de dénivelé avant d’atteindre le pied de la voie depuis le gîte d’Aurent. Nous arrivons malgré tout de nuit et donc suffisamment tôt cette fois-ci. « On s’excuse » nous attend :
Le temps de s’équiper, l’aube pointe déjà le bout de son nez. Il est 7h. Le nez, justement, il va falloir le lever bien haut aujourd’hui pour espérer deviner le cheminement. Ceci se vérifie sans plus attendre dès L1. Même pour un modeste 5b, dieu que c’est raide !
Le mur à strates de la fin de L1 vu depuis le haut :
La seconde longueur est du même acabit et pourtant nous ne sommes « que » dans le socle :
Comme L1, L2 se termine par un mur à strates dans lequel il faudra accepter de grimper longtemps entre les points. A ce propos, les quelques points fixes (goujons de 10 mm) présents dans ces murs peu protégeables n’ont été rajoutés que lors du second parcours de la voie en 1999. Si l’envie vous prend de répéter « On s’excuse », vous pourrez mesurer tout le cran dont ont fait preuve les ouvreurs car, lors de leur premier parcours, ces fameux points fixes n’étaient pas là pour les protéger. L’anglissime « run-out » vous dit quelque chose ?
R2 n’est équipé que d’un goujon de 10 mm. Il y a une belle fissure à proximité pour le placement d’un friend de renforcement (n°0.5 C4 BD). Au dessus, la troisième longueur s’échappe de ce dièdre par la gauche au niveau du petit buisson de teinte automnale :
A R3, la vue sur la suite de l’aventure et la raideur des lieux nous laissent pantois :
C’est parti pour L4, nous sommes contents !
La sortie à gauche du premier dièdre jaune n’est pas facile du tout. Depuis le second parcours de la voie, un goujon de 10 mm protège solidement ce passage. Le point est peu visible mais bel est bien là, à peu près derrière le genou droit sur la photo :
La fin du fameux passage délicat de L4 en vidéo :
La cinquième longueur est d’anthologie, chapeau bas aux ouvreurs ! De prime abord, en l’observant depuis son pied, elle impressionne franchement. L’espèce d’énorme ventre surplombant qui nous domine nous interroge quant à la relative modestie des difficultés qui lui sont attribuées (6a+) :
La longueur commence par une escalade dalleuse assez exposée. Encore plus qu’ailleurs, mieux vaut ne pas tomber dans cette première partie. Il est conseillé de s’y appliquer convenablement afin de louvoyer au plus juste et rejoindre sans encombre l’immense dièdre sécurisant :
Dans le dièdre, les emplacements pour de solides protections ne manquent pas. En plus, l’escalade y est géniale. Que demande le peuple ?!
Lorsque que le dièdre vient buter sous le premier gros toit, un piton dans une strate indique qu’il faut s’échapper à gauche. On s’aide alors d’un « bitard » horizontal, relativement solide en dépit des apparences, afin de franchir les quelques mètres les plus difficiles de l’ascension :
Marc a le sourire à R5. Au terme de cette grandiose cinquième longueur, il vient d’en découdre brillamment avec le « crux » de la journée :
Nous n’avons pas d’image de la sixième longueur. Elle se caractérise par un départ en traversée à gauche presque légèrement descendant. Le gaz y est au rendez-vous, l’ambiance est magique !
Plus à droite, la « Baume au Vent » demeure tout aussi raide. Il reste encore beaucoup de place pour les curieux en soif d’aventures nouvelles :
A partir de la septième longueur, c’est à dire au-dessus de la vire aux chamois, la texture du rocher devient granuleuse et la qualité de celui-ci s’améliore grandement :
A la fin de la septième longueur, il faut ouvrir ses yeux en grand pour trouver R7. Il est dans une vague niche légèrement sur la droite, caché derrière un buisson. Au-dessus de celui-ci, la paroi cesse enfin de se redresser :
En dessous, le beau petit village d’Aurent à visiter absolument :
L8 présente de très beaux passages spécialement aux abords d’un magnifique cyprès centenaire, le long d’une fissure parfaite, et à travers un bombé gymnique :
Heureusement que la dalle de sortie a été immortalisée car, bien que mousseuse et passablement engagée, elle n’en demeure pas moins remarquablement photogénique :
Sous nos pieds, le vide s’est fortement creusé au fil de la journée. La vue aérienne de l’éboulis emprunté de nuit, le matin même, nous fait prendre conscience de toute son immensité. Les 50 trop longues minutes d’approche depuis Aurent pourtant si proche trouvent ainsi les contours d’une explication.
Et dire que toutes ces pierres ne viennent pas d’en bas, cqfd…
A R8 (où curieusement un goujon de 10 mm a été récemment rajouté), même si le réchauffement continue son œuvre morbide, il n’y fait pas si chaud :
Au-dessus de nos têtes, gros plan sur le départ bien « forçu » de L9, the last but not the least :
L9 se termine par des gradins que nous qualifierons pudiquement de redressés et demandant, encore une fois, une dose certaine d’application :
Dernière traversée pour rejoindre R9 et Marc en finit avec « On s’excuse », bien joué !
L’heureuse cordée du jour prise en flagrant « délire » dans la pelouse sommitale de la « Baume au Vent » :
La redescente sur Aurent s’effectue à pied par la voie normale de la Montagne de Beaussebérard, un cheminement astucieux emprunté récemment par le SRtA de Guides06.
Dernier regard déjà nostalgique sur nos petites dolomites locales, la « Baume au Vent » à Aurent :
Accroché dans un buisson de L8, nous avons retrouvé un « ami » esseulé depuis quelques temps déjà et de surcroît salement amoché. Si un de ses « potes » d’antan le reconnaissait, qu’il nous fasse signe, nous lui restituerons bien volontiers :
Un grand merci à toi Marc pour avoir eu la brillante idée de mettre « On s’excuse » au programme. Une bien belle aventure vécue à domicile (trop fort !) et qui tiendra une place particulière dans nos annales montagnardes communes.
Si l’envie vous prend de découvrir la « Baume au Vent » par la voie « On s’excuse », et c’est tout le mal que nous vous souhaitons, voici peut-être quelques éléments à garder en tête :
- être bien à l’aise dans le niveau c’est encore mieux sachant qu’une demie cotation supplémentaire à toutes les longueurs ne saurait être perçue comme une hérésie dans l’échelle cotationnelle actuelle ;
- concernant le timing, compter environ 8h30 d’escalade précautionneuse (nous avons mis 8h45 en étant un peu lents) ;
- savoir marcher sur des œufs sans les casser, grimper sur des frigos sans les renverser, et enfin tirer des tiroirs sans pour autant les ouvrir (tout un art !) ;
- pour profiter pleinement du voyage, s’armer d’une fibre « alpinistique » semble mieux indiqué que d’une seule fibre « grimpesque », cqfd.
Magnifique reportage, qui m’ a donné soif d’aventures sur cette paroie incroyable, du coup une nouvelle voie est née de cette rencontre avec « la Baume au Vent ».le plus dur reste a faire :le topo de la voie digne de celui de Stéphane et jeannot.affaire a suivre.
Bonjour Gilles,
Merci pour ton message et surtout bravo !!! Une belle aventure que tu as dû vivre là-bas. Sacrément hâte d’en savoir plus sur ce nouvel itinéraire.
Damien