Expédition au Népal, automne 2024 – Ouverture en face Nord du Langdak 6240 m

Du 7 octobre au 7 novembre 2024, avec les guides du secours en montagne Antoine Rolle et Jérémy Fino, nous sommes partis au Népal pour ouvrir une nouvelle ligne en face nord du Langdak, un sommet sauvage du Khumbu Ouest culminant à 6240 mètres d’altitude. Récit du voyage.

Le projet

Ces montagnes du bout du monde, les plus hautes, tout alpiniste en a rêvé. Alors quand les 3 x T sont là (Temps, Tune, Team), il faut sauter sur l’occasion.

L’idée de base était d’ouvrir une voie mixte dans une face vierge. Considérant notre timing (un mois sur place), il fallait une logistique pas trop complexe et un sommet d’altitude intermédiaire, probablement entre 6000 et 7000 m.

Notre choix s’est donc arrêté sur un large périmètre Rolwaling / Khumbu à environ 150 km à vol d’oiseau de Katmandou, avec toujours dans l’idée de surveiller le ratio plaisir / engagement et minimiser l’exposition aux dangers objectifs jamais totalement absents dans cet environnement, on le sait.

C’est d’abord le Takargo, un sommet de 6800 m, qui nous fait du gringue : sa belle face Ouest de 1000 m semble proposer une entreprise audacieuse.

Suite à différents échanges avec Stéphane Benoist, nous réalisons que l’orientation de notre objectif (Ouest) peut peut-être poser problème (exposition au jet stream, sécheresse possible de la face). D’autre part, un mois pour une face technique à 6800 m parait ambitieux.

Pour maximiser nos chances de réussite, nous revoyons notre copie pour viser un peu moins haut en altitude et sur des orientations plus Nord et Est.

La zone entre le glacier du Drolambao et la vallée de Thame qui monte au Nangpa La pass (passage commercial historique entre le Tibet et le Népal) semble alors parfaitement correspondre à nos spécifications avec plusieurs objectifs et options d’acclimatation possibles.

Voir carte ci-dessous objectifs possibles en bleu, options d’acclimatation en vert et camp de base quelque part autour de l’étoile.

Un sommet en particulier attire notre attention : le Langdak et son esthétique face Nord Est culminant à 6240 m. Un petit check avec l’Himalayan Database et l’American Alpine Journal pour s’assurer de la virginité de la zone et notre plan A s’entérine.

L’aventure allait se dérouler au sein du parc national de l’Everest non loin des géants de la planète avec probablement des vues à couper le souffle, petit gloups d’émolution (un mix entre émotion et émulation).

Préparation

C’est tout excité que nous passons à la phase préparatoire plus concrètement. On peut la subdiviser en 4 grandes catégories :

  • Logistique
  • Topo
  • Matériel
  • Physique / Technique

En pratique, bien sûr, ces catégories ont des implications les unes sur les autres.

Pour nous, assez vite le choix d’un camp de base est fait, autour du replat de Chhule vers 4500 m. Le premier lodge n’est pas tout prêt (à priori Dinjung ou Lugdhen) et nous souhaitons rester au plus près de la face pendant la période d’acclimatation pour la voir vivre et envisager les lignes les plus pertinentes. En outre, cela nous parait plus pratique pour l’acclimatation et l’idée de vivre l’expérience sauvage du camp de base nous attire.

A partir de là, l’utilisation d’un agent local n’est pas obligatoire mais devient cohérente pour nous assister sur la phase de portage, en sus de tous les services rendus : permis, facilitation logistique, expertise locale, etc.

Notre liste de matériel se précise et nous aurons autour de 100 kg à monter au BC (Base Camp), sans compter le matériel du BC en soi (tentes) et la nourriture, tout géré par l’agent Pralhad Chapagain (Holiday Himalaya Treks & Expeditions).

Matériel technique de l’équipe

Tout ce petit processus suit son cours et nous passons le reste de notre temps libre alloué au projet à nous maintenir en forme et récolter un maximum d’information sur notre zone d’évolution :

  • Modèle topo 3D
  • Cartes locales
  • Banque de photos
  • Articles de journaux papiers et web
  • Témoignages
  • Himalayan et AAJ database

Le moment du départ approche et nous rassemblons ce joyeux bazar dans nos duffles et sacs d’alpinisme. Pour l’occasion notre ami et collègue Kapil Harit nous a confectionné des sacs révolutionnaires de légèreté et de praticité que nous verrons plus tard sur les photos.

L’approche

Un mois avant notre départ, l’Est du Népal avait subi de grosses intempéries et le réseau routier avait été dévasté. La faisabilité de l’expé avait même un temps été questionné !

Dans ces conditions, nous avions décidé de prendre l’avion jusqu’à Lukla.

Une fois sur place, 2 jours d’attente à l’aéroport en attendant les conditions de vol à vue réunies avaient eu raison de nous et décision prise de rejoindre les hautes vallées du Solu-Khumbu en jeep en voyant que le réseau routier était partiellement rétabli.

Une première épopée en soit sur des routes défoncées dans de profondes vallées avec connexion à pied d’une rive à l’autre en pont himalayen.

Traversée de la rivière Dudh Koshi Nadi qui récolte tous les bassins versants du Sagarmantha National park

Ce petit tour de jeep, révélant notre piètre gainage, permit une immersion très progressive géniale dans le massif, l’occasion de pleinement réaliser la démesure de la géographie locale : des rivières XXL, de profondes vallées aux versants très raides, des routes escarpées épousant le relief et de la vie, partout des habitations, la nuit les collines abruptes scintillent de mille lumières !

Bref, 4 jours avaient passés et nous atteignions enfin Surke à la nuit pour attaquer le lendemain le trek d’approche et enfin dégourdir nos corps endoloris qui avaient maintenant pris la forme de la Scorpio Mahindra.

Nous avions prévu de réaliser les étapes suivantes :

  • Lukla 2840 m – Namche Bazaar 3440 m
  • Namche Bazaar – Thame 3820 m
  • Thame – Sunder peak 5368 m – Thame
  • Thame – Dinjung / Marulung 4168 m
  • Dinjung / Marulung – Camp de base 4550 m

Mais ce petit contre temps logistique nous a incités à nous diriger plus rapidement vers le BC avec le cheminement suivant :

  • Surke 2290 m – Namche Bazaar
  • Namche – Thame
  • Thame – Dinjung
  • Et Dinjung – BC

De la sorte, nous regagnions une journée et nous adapterions l’acclimatation une fois au BC.

La première journée du trek est un réel bonheur avec ses presque 1200 mètres de dénivelé, nous sortons progressivement de l’humidité de fond de vallée et empruntons les énormes sentiers pavés des treks renommés du Khumbu accompagné de Pasang, notre sherpa en chef. La caravane du camp de base est partie quelques jours auparavant avec notre cook et aide cook et nos 3 jeunes porteurs nous suivent à distance.

Les premiers moulins à prière, les premières stèles gravées, les stupas, les drapeaux, les mules, les yaks, les passerelles himalayennes, découvrir en réel toute cette culture sherpa est un réel bonheur et ces sommets identifiés sur les cartes quelques semaines auparavant qui se dressent maintenant devant vous… intimidant…

Le Kusum Kanguru 6367 m, une des premières faces que l’on découvre sur les sentiers du Khumbu

Bientôt nous arrivons à Namche Bazar, la capitale des sherpas. Carrefour commercial historique et maintenant touristique. C’est impressionnant de découvrir une ville de cette taille dans cet univers. Nichée dans un amphithéâtre naturel, on y trouve toutes les commodités imaginables.

Le lendemain direction Thame et nous dépassons pour la première fois du séjour l’altitude de 4000 m sur les flancs du Sunder Peak avant de retourner au lodge dormir à 3840 m. L’environnement se fait plus aride, plus minéral et le confort plus sommaire.

Thame a souffert de l’énorme épisode pluvieux évoqué précédemment non sans rappeler le drame survenu à la Bérarde à 2 mois d’intervalle. Un bon tiers du village est parti dans la rivière… et les journées sont littéralement rythmées par le bruit de taille des pierres de construction. Kaïla, chez qui nous séjournons, est philosophe : « ça prendra le temps que ça prendra, on reconstruit ». Sherpa retraité, sa liste de course à 8000 m fait peur. Un sacré bonhomme, il gère aujourd’hui avec sa famille l’Hotel Yak Thame.

En attendant, de nouveaux sommets mythiques se dressent devant nous : Le Kongde Ri 6187 m, le Tengkangpoche 6487 m, le Tengi Ragi Tau 6820 m, incroyable de pouvoir contempler ces faces sans filtres.

Face nord du Kongde Ri

Notre camp de base n’est maintenant plus très loin et après une dernière nuit en lodge à Marulung 4160 m, nous arrivons enfin en « terre des yaks » (signification probable de Langdak). Notre objectif est une montagne à vaches ! Le plateau censé accueillir notre camp de base est bien là, la face aussi. Tout notre imaginaire se matérialise soudain, on est coupé du monde, c’est méga sauvage, l’excitation est palpable.

Léger souci : où est passé le matos du camp de base ? Une scission s’est opérée entre le yak man et notre team la veille et une véritable chasse aux trésors s’organisent dans toute la vallée pour retrouver où a été effectué la dépose matos. Au pire nous avons les tentes d’assauts avec nous mais ça va être un peu light pour 5 personnes. L’ambiance se tend quelques instants, ça part dans toutes les directions.

Après quelques heures et un peu résignés, on voit Lagpa, notre cook, arriver au loin, visiblement chargé… C’est tout bon, ce soir, chacun dans sa piole !

L’acclimatation

Bien sûr l’acclimatation a commencé dès notre montée en altitude lors du trek d’approche mais maintenant il faut réfléchir plus précisément à la suite : les paliers d’acclimatation, où ? La météo, les timings, quand partir dans la face, dans quelle ligne, etc.

Pour notre première journée au camp de base nous trépignons, évidemment nous décidons d’aller voir la bête de plus près. Petite montée à 5200 m sur la moraine en face du Langdak. La vue est saisissante et les discussions vont bon train.

Le jumelage nous permet de repérer 3 grandes options qui pourraient matcher avec notre timing.

La goulotte rouge est trop exposée sous la corniche entre sommet Ouest et sommet central. Les 2 autres options semblent se valoir avec toutefois quelques incertitudes sur la grimpabilité de certains placages sur la ligne jaune. La ligne orange semble démente avec un départ et une partie médiane bien raide. Une zone de bivouac semble jouable au niveau du névé sous le très bleu à peu près au milieu de la face sous le bastion raide.

Cette première montée est aussi l’occasion de repérer nos futurs emplacements de bivouacs d’acclimatation sur le 5000 en face. Bivouac 1 à 5000, bivouac 2 à 5300 et bivouac 3 à 5500.

Nous sommes super contents de cette première journée productive. On a dégrossi la face, pas de dangers objectifs majeurs, un plan d’acclimatation, une idée des timings et des approches communes pour le push et l’acclimatation permettant d’effectuer des déposes matos. Assez pour aujourd’hui retour au BC pour la nuit. Notre petite équipe fonctionne bien, on ne s’est pas encore trop tapé sur la gueule.

En descendant, nous avons une superbe vue sur l’Everest, le décor de notre aventure est exceptionnel !

Après un check météo, nous décidons de couper l’acclimatation en deux pour laisser passer une petite perturbation au camp de base. Donc 1 nuit à 5000, 1 nuit au camp de base / perturbation, nuits à 5300 et 5500 puis 3 nuits au camp de base avant le push.

Notre premier bivouac à 5000 est divin. Après un petit frichti dans la cousse, le levé de lune sur l’Everest est surnaturel !

On voit comme en plein jour !

Cette première nuit à 5000 est prometteuse, quelques apnées du sommeil surprise, mais rien de bien méchant. Les sensations sont bonnes et nous n’avons pas eu froid.

Au petit matin, retour au BC pour 24h de repos adaptatif … cartes, étirement, douche et on trouve un passage un peu scabreux pour passer en rive gauche du Bothe Koshi Nadi synonyme d’appel vidéo avec la famille au lodge de Lungdhen à 1h30 du camp de base … Nous y descendrons 2 fois lors de la période d’acclimatation.

On rentre dans le vif du sujet avec les 2 jours d’acclimatation suivant. Montée tranquille et tardive à 5300 m donc. Juste le temps de nous confectionner une belle terrasse avec vue et de chiller un peu.

On est pas mal là !

Cette phase d’acclimatation est à la fois enthousiasmante car chaque jour nous prenons un peu plus de hauteur et découvrons comment nos corps réagissent à l’altitude et à la fois frustrante car le process est long et on a envie de rentrer dans le vif du sujet, d’aller dans la face, de grimper … Comme dit un célèbre alpiniste azuréen et grimpeur de 9a : « dans les Alpes, il faut aller vite, en Himalaya, il faut apprendre à aller lentement … ». A tous les stades de l’expé, s’économiser, ne pas s’enflammer même si on a de bonnes sensations, essayer un maximum de tirer au flanc et de laisser bosser les collègues …

Lundi 21 octobre

Une nouvelle fois, la nuit n’a pas été trop pénible. On se lève tranquille, aujourd’hui on a 200 mètres de dénivelé à faire pour atteindre l’ultime palier de notre acclim.

L’ascension de ce petit 5561 m satellite du Singkorab 5903 m se fait en baskets. C’est marrant de se dire qu’il est possiblement vierge de tout passage humain.

On a une super vue sur le Dangkuru 6376 m, à portée de piolets ! C’était un de nos plans B. En regardant sa face de plus près, on est plutôt très content que le Langdak semble en conditions avec des lignes grimpables.

Pas simple de trouver un emplacement de bivouac correct un peu abrité dans ce chaos de bloc. On passe un bon moment à terrasser, avant-gout du taf qu’il faudra effectuer dans la face. Ce petit intermède BTP nous pompe bien de l’énergie et on essaie d’y aller molo pour ne pas trop se fumer.

Ultime palier de l’acclimatation, le spot de bivouac est dingo.

Nuit à 5500 c’est fait ! Fin de l’acclimatation, enfin du moins, on fera le reste pendant le push ! C’est cool d’avoir atteint cette altitude pendant l’acclimatation car ce sera peu ou prou l’altitude de notre premier bivouac dans la face. On est bien content.

Il a neigé quelques flocons dans la nuit et le paysage se sublime encore.

Nous profitons de ce levé de soleil incroyable sur les sommets mythiques du secteur : le Lunag Ri de David Lama, le Cho Oyu, … splendide !

Et notre secteur n’est pas en reste.

Stratégie

Fin de l’acclim, nous voilà de retour au camp de base. Tout le monde se sent plus ou moins bien. On se donne 3 nouvelles nuits ici pour soigner les petits bobos et « récupérer » ou plutôt laisser le temps à notre corps de finir son adaptation, c’est notre hypothèse.

Le temps de finaliser le plan que nous avons bien discuté et muri ces derniers jours :

J1 – Une cordée fixe les premières longueurs pendant qu’un esclave monte le bivouac au pied de la face (camp de base avancé). Sauf surprise, on part dans la ligne orange (la plus à gauche).

J2 – Objectif bivouac intermédiaire repéré et on fixe le max qu’on peut.

J3 – Bivouac au col entre sommet Est et central.

J4 – Summit day et on avise sur la descente, plan A : bouclage par le Drolambao côté Rolwaling histoire de continuer l’aventure et l’exploration avec probablement un bivouac côté Ouest du Tesi Lapcha La où on retrouve des itinéraires plus classiques. Plan B : descente dans la face à ne pas exclure.

Si plan A :

J5 – Bouclage par le Tesi Lapcha La et retour à Thame.

J6 – Retour au base camp pour faciliter la logistique.

Côté météo, Nico nous confirme un créneau qui semblait déjà bien se dessiner depuis plusieurs jours. Tempête de ciel bleu annoncé, pas de vent, pas l’ombre d’un nuage au tableau. Depuis notre arrivée, nous nous sommes bien imprégnés de la météo locale, les régimes de brise, la nébulosité et les jours se suivent et se ressemblent. Nous partons confiants.

On a un plan de comm’ pas pire avec un Garmin inReach mini pour recevoir la météo et donner des news à la famille. En sus, on est en contact radio avec Pasang au BC (2 fois par jour pour économiser la batterie) et à qui on a laissé le telsat.

Carte générale du parc national de l’Everest avec notre zone d’évolution à l’Ouest

L’ascension

Vendredi 25 octobre

C’est le D-day, montée sur la moraine du glacier du Langdak qui n’a plus de secrets pour nous à présent. Les sacs sont pas tout light, on part avec 20 kg de matos chacun sur le dos. On monte en baskets pour l’approche donc les grosses sont sur le sac. Une fois équipé, on estime que le leader grimpera avec pas loin de 10 kg et les seconds autour de 13 kg.

Pasang nous accompagne pour redescendre nos baskets, nos bâtons et trois bricoles.

Ca y est, on est au sommet de la moraine 5300 m, on quitte Pasang, la petite larmichette et on plonge sur le glacier du Langdak.

C’est Tonio qui se colle l’installation du bivouac et nous partons tracer l’approche avec Djé et défricher l’attaque.

Il nous faudra grosso merdo 1 heure pour arriver au pied de notre ligne. Ça semble grimpable, on reste sur le plan A. Le petit chifoumi de rigueur, le jeu des petits comme des grands, et c’est Matou qui se part dans L1. Neige couic relativement bonne à grimper mais raide et peu de protections, un poil expo pour commencer. Une grande longueur de 70 mètres avec un peu de corde tendue à la fin pour aller chercher un relais correct rive droite pas simple à confectionner ça donne le ton.

Djé court me rejoindre : « 4+ ? », je valide.

Le bougre a envie de grimper bien entendu ! Il prend le lead pour une grande longueur de corde à nouveau. Il repère un bon relais. Problème : avec 120 mètres de corde on va être short pour fixer.

Il redescend et nous trouvons un autre relais correct pour fixer. Job done pour aujourd’hui. On a fixé 100 mètres. Ca déroule à merveille, retour au bivouac à la nuit pour un court repos en perspective avec la Simond 2 places pour 3 … Pas pire, on trouve nos marques et notre logistique se rode tranquillement.

Samedi 26 octobre

Nos traces de la veille nous ont grandement servi et assez vite nous voilà sur nos bloqueurs pour retrouver le matériel laissé la veille.

Djé poursuit là où il s’était arrêté.

Nous alternons petite brasse dans une neige inconsistante et jolis placages fins mais à ancrages seins.

Peu de mixte pour l’instant, et toujours des protections difficiles à trouver.

Le plan se déroule à merveille, les difficultés principales de cette première journée sont attendus juste sous le bivouac. Les belles longueurs se succèdent et nous progressons vite.

On avance et ça se raidit tranquillement. La pente du bivouac et maintenant visible. Elle est protégée des envahisseurs par un petit ressaut mixte bien technique que nous évaluerons à M5. Le tout traverse allègrement et quand nous rétablissons sur notre spot de bivouac, on se sent bien loin du monde ! Si retraite il devait y avoir, ça commencerait à être une vraie question …

Altitude 5640 m

Je me sens tout penaud sur mon relais en attendant les copains. Quand ceux-ci rétablissent à leur tour c’est la jubilation : « putain dément le bivouac ! ». Là où je ne voyais qu’une petite banquette pour poser un ou deux culs, les collègues me rétorquent « nan mais là c’est fumant, on pose la tente ! ».

Les bougres ont de l’expérience et je les crois sur parole ! Il est 16h, pile poil dans les temps qu’on s’était fixé.

Ce soir c’est Djé qui se propose héroïquement pour confectionner le bivouac alors que Tonio et moi partons fixer quelques longueurs supplémentaires jusqu’à la nuit.

Tonio, un peu atteint par l’hypoxie jusque-là, se chauffe pour la longueur suivante qui a l’air bien mythique.

Il s’extase dans cette longueur qui marque véritablement le début du franchissement du bastion raide central de notre face. Quand je le rejoins au relais de cette belle longueur d’environ 30 m, je mesure la chance que nous avons d’en être là avec tous les feux au vert. Nous prenons énormément de plaisir à décrypter ce verrou stratégique.

La longueur qui suit est encore bien technique et mixte, placage fin et glace au programme, j’y vais tout cool, on est plus pressé par le temps maintenant et l’idée c’est vraiment de ne pas tomber … C’est méga ambiance car la longueur repart sur la gauche en prenant du gaz sur la face.

La nuit approche, Djé et Tonio m’interpelle, je cherche le relais de fixage, il faut rentrer au bercail.

On a fixé 60 mètres environ, jamais extrême autour de 4+/M5 mais difficile à lire et à protéger, du nettoyage, etc. A tâtons donc …

Nous nous retrouvons au bivouac, fourbus mais contents. Défoncés juste comme il faut.

On s’est un peu rodé la veille dans la 2 places et le tetris d’organise.

Cette journée était vraiment la charnière du projet. Elle s’est bien passée.

Tout le monde a bien sûr en tête ces 1 ou 2 longueurs qui restent pour nous rétablir dans la grande goulotte de sortie et que nous avons appelé le « Lagarde » en référence au célèbre couloir des Droites.

Là-haut, il y a de la glace, l’air est pur et l’herbe est verte, on sortira c’est sûr. Mais pour l’instant l’incertitude de ces quelques mètres qui nous en séparent demeure et on éteint nos frontales avec cette petite tension palpable.

Dimanche 27 octobre

C’est dur de trouver son sommeil dans ce contexte et on a reçu pas mal de spindrifts dans la nuit. La bonne nouvelle : Il est l’heure de se mettre en branle. On démonte tout ce bordel et on se casse !

La remontée sur corde, toujours un moment sympa qui échauffe bien … Et on se retrouve devant le crux de la voie. Bien sûr c’est celui qui a perdu tous ses médias (Matou plaide coupable) qui avait pris la vidéo du passage. Donc pas d’illustration. On va tenter de rendre l’histoire vivante par le récit.

Djé, qui nous avait gentillommement laissé les premières longueurs du bastion, prend le lead de ce début de journée. L’affaire a l’air coton. La neige est polystyrène dans la goulotte raide et le rocher tout recouvert. Il essaie à gauche, au milieu, re-à gauche. Avec Tonio, pendus à notre relais bien gazeux, nous l’encourageons. Il se résigne à aller voir à droite, l’option qui fait le moins rêver … le tout pour le tout … le super banco : « putain, on va pas buter ici !!! ». Il nettoie un peu le caillou, bim ! Tout finit par tomber, et THE CRACK salvatrice apparait. God bless French Alpinists in distress : juste ce qu’il faut pour bourrer pitons et micros, pour conforter sa dernière mauvaise broche baby à moitié enfoncée.

J’en rajoute à peine, solide le Djédjé, il artife une courte section, se fait léger et se rétablit sur un placage précaire, on ne le voit plus mais s’il n’est pas repassé par la case relais, c’est bien qu’il monte ! « Ça passe Djé ??? ». Le bougre ne répond pas !!! Il garde les bonnes nouvelles pour lui le coquin. Et oui, notre Djédjé avance et avance et soudain : « relais !!! ». Oh putain s’il nous fait monter c’est qu’on va la sortir cette face …

Quand nous le retrouvons, tout le monde arbore sa banane des grands jours. C’est pas encore fait c’t’histoire mais ça en prend la tournure.

Les deux longueurs qui suivent sont franchement bonnes à grimper, 2 longueurs de glace bien mythiques pour nous faire entrer dans le Lagarde. On a mis du temps à sortir du bastion, on n’a pas vu filer le temps. Une course contre la montre démarre, objectif : sortir au col et demain on se lève avec le soleil !

Après deux grandes longueurs de corde en pentes de neige, on se retrouve devant une zone plus raide mais en très bonne glace.

Les conditions du support sont démentes, ça avance bien mais on ne peut pas vraiment courir, ça reste technique. Et puis on approche les 6000 … Cette longue section se termine par un ressaut bien raide en glace. On y lâche les dernières cartouches, au-dessus, il y a forcément le col !

Bien sûr dans la réalité c’est toujours plus long que sur le papier. Au réta du rideau, la goulotte se couche, c’est très facile mais il reste encore peut-être 150 mètres de dénivelé pour arriver au col.

On rampe comme des larves jusqu’à celui-ci, il est 18h. On est allé au-delà de notre barrière horaire mais le terrain s’y prêtait. Un sérac affleure au col, on vache notre bivouac en schlague dessus en priant pour que la gravité ne le rappelle pas dans la nuit…

Djé trouve la force de faire de l’eau pour remplir nos lyophs, on les engloutit et on se faxe. Ce soir, on « dort » à 6140 m (100 mètres sous le sommet), bien tartés par cette journée mais surexcités !

Lundi 28 octobre

Le réveil est irréel, la face Nord du Langdak est derrière nous. Nous recevons nos premiers rayons de soleil direct depuis 3 jours, quel pied !

Ce matin le petit déjeuner est léger, nous sommes tellement impatients de fouler le sommet ! Nous nous préparons hâtivement dans ce décor incroyable.

Une grosse journée nous attend on le sait, le sommet d’abord et la descente bien sûr, côté Nord ou côté Sud, dans tous les cas il y a du taf.

On se met en mouvement au milieu de ces lignes de fuite démesurées. Un petit passage mixte débonnaire mais en rocher pourri nous ralentit un instant et puis c’est la pente finale, on le sent. La neige est démente juste comme il faut, comme un appel vers le plus haut point de la montagne !

Après une pente un peu raide mais facile on se regroupe, alti 6200 m, le sommet ne peut plus être très loin. Djé repart devant, 30 secondes plus tard il jubile youhou ! Nous y sommes… Je le rejoins et Tonio arrive à son tour.

On tombe dans les bras les uns des autres, un moment intense, l’apogée du processus. Les yeux sont humides.

Sommet du Langdak central, altitude 6240 m, 8h30

On profite un bon moment de cet instant suspendu, un petit message à la famille et bientôt la question de la descente. On regarde la gueule de la face Sud / Ouest, ça a l’air tout bon. Etant donné l’austérité de la voie parcourue et les difficultés rencontrées pour se protéger, il n’y a pas débat, on tente la boucle par le glacier. La nivologie a l’air tout à fait gérable et que dire de la météo. 0 km/h de vent au sommet, pas un nuage … La chatte à Dédé comme dirait l’autre !

Après une descente facile mais relativement crevassé, on atteint l’altiplano du glacier du Drolambao. Un immense glacier à 5500 m d’une longueur d’environ 10 km …

Parfois ça porte, parfois pas … à mi descente on arrive dans un réseau immense de bédières dans lequel il faut se frayer un chemin … C’est l’errance ! Mais qu’elle est belle ! On passe aux pieds de magnifiques montagnes comme le Tengi Ragi Tau ou notre fameux Tarkago dont nous apercevons les faces Est et Sud bien sèche. 8 heures après le sommet nous arrivons seulement au bivouac Ouest du Tesi Lapcha La. Pfiouf, quelle journée !

Encore un sunset 5 étoiles sur le Pachermo 6279 m, le Dôme des Ecrins local. On engloutit tout ce qu’il nous reste de victuailles et on file au dodo. Demain on dort à Thame et chacun aura son lit douillet !

Mardi 29 octobre

Au Tesi Lapcha La, nous retrouvons la voie normale du Pachermo et quelques humains. Le retour à la civilisation se fait en douceur. La descente de la vallée vers Thame est splendide, nous sommes escortés par la face N du Tengkangpoche qui ne fait pas rire. Au « refuge » du Pachermo, des sherpas hallucinent de voir nos gros sacs. Nous leur racontons notre boucle, ils ont le smile. Demain eux monteront au Pachermo avec leurs clients. Ils nous offrent avec générosité l’élixir local : le bon vieux jus d’orange lyophilisé chaud, une belle rencontre.

Mercredi 30 octobre

Après une nuit réparatrice à Thame, nous rejoignons le camp de base et retrouvons notre équipe, nous apprenons avec stupeur que Pasang s’est fait une vilaine entorse au genou lors de la redescente de la moraine le jour de notre départ dans la face !

Son évacuation est prévue pour le surlendemain… Le temps de fêter l’expé avec tout le team ! Les tournées de Khukri s’enchainent et tout le monde se met à fumer …

Vendredi 1er novembre

C’est le jour du grand départ… Nous quittons le camp de base qui nous a accueillis pendant plusieurs semaines, non sans une certaine émotion. Pasang, avec son genou en bois, prend l’hélico le petit malin.

Quand on pense au voyage retour, on a très envie de se glisser dedans… Mais pour nous ce sera 3 jours de marche puis … 2 jours de jeep sous la pluie puisque la météo nous empêchera à nouveau de prendre l’avion pour un direct Katmandou.

Post scriptum

Quelques jours ont passés, Tonio et Djé sont retournés en France alors que Marie, Manon et Maël m’ont rejoint pour un trek en famille dans le coin des Anapurnas.

Alors que nous échangeons avec Rodolphe Popier de l’Himalayan Database pour rendre compte de notre aventure, nous apprenons que Lindsay Griffin de l’AAJ a retrouvé un tracé d’Andy Parkin dans la face que nous avons gravie.

Son parcours date de janvier 2011 et notre voie reprend sa sortie dans le tiers supérieur. Pour les plus observateurs, vous aurez remarqué que sa ligne était une option sérieusement envisagée lors de notre repérage, nous ne sommes pas passé loin d’une répétition !

Bien sûr, c’est un sentiment étrange de découvrir à posteriori que l’une des raisons pour lesquelles on a signé se vaporise … Un pied de nez du destin. Mais ce qu’on a trouvé là-bas va finalement au-delà, l’aventure, l’exploration à un degré supérieur, et toutes les émotions qu’elles suscitent et que personnellement je n’ai toujours pas réussi à expliquer… En ont-elles besoin ???

Nous avons appelé notre itinéraire « Bande organisée ».

Cotations approximative : AI4+ M5 A1 1050 m
Ouvert du 25 au 30 octobre 2024
Jérémy Fino / Mathieu Stephan / Antoine Rolle

Remerciements

Merci à nos familles pour leur support inconditionnel : Marie Doha, Gemma, Laurie, Maxene, Nolane, Marie, Manon et Maëlito.

Merci aux partenaires pour le super matériel : Petzl pour le matériel technique, Ortovox et Elbec pour le textile.

Merci aux copains pour le matos, les conseils et la météo : Stéphane Benoist, Nicolas Féraud, Thibault Tournier, Benjamin Guigonnet, Boris Pivaudran, Kapil Harit

Et merci à tous les gens rencontrés sur la route : Pralhad Chapagain de Holiday Himalaya Treks & Expeditions, notre équipe sur le terrain : Pasang, Tshiring, Lagpa, Kaïla et sa famille de l’Hotel Yak Thame.

Laisser un commentaire

WP2Social Auto Publish Powered By : XYZScripts.com