Le 17 août 2019, avec les niçois Olivier VIGOUROUX et Thibaut TOURNIER, nous avons vécu une belle aventure. Nous sommes allés grimper le « pilier des temps maudits » (ED, 1000m), l’une des deux voies ouvertes par Arnaud GUILLAUME et Pascal DAUGER dans la face Nord-Ouest des Ailefroides.
Cette paroi est communément appelée « la muraille ». On comprend pourquoi en regardant cette photo :
L’aventure commence dans l’après-midi du 16 août par un départ groupé de La Bérarde. La « muraille » attire les foules en cet été 2019 ! En effet, quatre autres niçois tenteront eux aussi de la gravir le lendemain. Florence, Robin, Jean-Baptiste et Antoine visent la « Walker de l’Oisans » (TD+/ED-, 1000m). Il s’agit du pilier Nord-Ouest de l’Ailefroide Occidentale (3954m, point culminant) ouvert par Giusto GERVASUTTI et Lucien DEVIES, une semaine après le commencement de la guerre civile espagnole.
L’objectif de l’après-midi est la montée au refuge Temple-Ecrins. Pour cela, nous devons d’abord passer devant le refuge du Carrelet :
Après avoir quitté le fond du vallon du Vénéon, nous remontons les lacets de la rive droite. La vue sur le cirque de la Pilatte se dévoile avec de gauche à droite : les pointes de la Pilatte (3476m), les Bancs (3669m, la tête dans les nuages), le Gioberney et son arête Nord-Est (3352m).
La joyeuse équipe à la soupe au refuge Temple-Ecrins. Outre le cadre, l’accueil et les récents travaux de restauration font de ce refuge un lieu très agréable !
Après une approche d’environ 2 heures, et après avoir gravi les contreforts de la Tour du Géant (partie inférieure de la voie des frères VERNET, la première a être tracée dans la « muraille » il y a 90 ans jour pour jour en juillet 1929), les choses « encore plus » sérieuses commencent. Olivier au départ de la seconde longueur du pilier proprement dit :
La première partie de cette longueur s’effectue en escalade artificielle (A1). Seulement quelques pitons étaient en place. Généreux, mais aussi et plus que tout fainéants, nous en avons laissé deux supplémentaires.
La très grande taille d’Olivier (n’est pas basketteur qui veut…), et surtout sa technique irréprochable lui permettront de minimiser la pose de points. Son efficacité s’en retrouve, inévitablement, maximisée. Lames, cornières, câblés et friends (micros et petits) lui auront été nécessaires pour venir à bout de cette jolie longueur en rocher excellent.
La sortie de cette première longueur d’artif s’effectue en libre sur une dizaine de mètres (5C+++). Dans notre dos, le très glauque couloir de Coste Rouge s’éloigne. Nous sommes heureux car chanceux et soulagés de prendre nos distances avec ce lapideur géant !
Dans la partie basse de la voie VERNET, hormis dans quelques courts passages, nous avons pu progresser à corde tendue. Sur cette photo prise par nos camarades depuis la voie GERVASUTTI-DEVIES, le tracé rouge correspond aux trois premières longueurs du « pilier des temps maudits ». Les petits points noirs à l’intérieur des deux cercles rouges, c’est nous ! Dans le cercle du bas, nous nous situons précisément au niveau de R1 :
Le départ et la fin de la troisième longueur s’effectuent en libre (5c+/6a). La partie médiane présente une nouvelle section d’escalade artificielle (A1, quelques pitons sont en place). Avec un essai en libre téméraire mais peu concluant (n’est pas grimpeur qui veut…) et l’éjection fortuite d’un universel « z’ailé », cette section d’artif fût fort intéressante. Là aussi, décidément plus fainéants que généreux, nous abandonnerons 2 pitons avec l’espoir inavouable qu’ils fassent des petits (avis aux prochains…).
Pendant ce temps, le soleil gagne franchement du terrain. Les Rouies (3589m) et la Pointe du Vallon des Étages (3564m) se font tranquillement dorer la pilule dans la lumière de l’astre du jour. La tour rouge du pilier central et la plaque inférieure (autrefois le qualificatif « de glace » était utilisé) doivent encore patienter dans l’ombre de la face Nord-Ouest :
Olivier observe la suite du pilier. Nous le suivrons sur quatre grandes longueurs plutôt légèrement à gauche du fil . Dans cette partie, l’escalade n’est pas difficile (5c max.). Elle demande néanmoins une certaine délicatesse en raison de la mauvaise qualité du rocher.
L’escalade est raide mais bien prisue. Nous nous régalons !
A notre droite, Robin et Jean-Baptiste sont à l’attaque des fameuses dalles grises de la voie GERVASUTTI-DEVIES. Leurs prises sont moins franches et moins nombreuses que les nôtres! Au-dessus d’eux, la plaque de glace supérieure pointe le bout de ses glaçons :
Le temps passe. Notre tour est venu concernant le dorage de pilule. En effet, le soleil est maintenant bien présent lorsque nous en terminons avec le pilier proprement dit, sur fond de Râteau (3809m) et de Meije (3983m) :
La petite crête que Thibaut remonte marque la fin officieuse du pilier…
… et le début officiel de la muraille terminale ! Deux grimpeurs visibles sur cette photo, sont aux prises de la 1ère longueur du bastion sommital (L9, 4 sup.). Celle-ci suit le dièdre ombragé bien marqué en oblique à gauche. Heureusement, le rocher est bien meilleur qu’annoncé dans les topos. En revanche, cet endroit est très exposé aux chutes de pierres. Avec une fâcheuse insistance, quelques-unes d’entre-elles ne manqueront pas de siffloter dans le creux de nos oreilles, des mélodies dont on se serait bien volontiers passé.
C’est aussi et surtout pour cela que nous sommes là avec à notre droite une vue imprenable sur les Rouies, la Pointe du Vallon des Étages, le Haut-Vénéon, le refuge du carrelet, etc…) ! :
Thibaut dans les fissures et écailles raides de L10 (5 sup., 2ième longueur de la muraille finale), un régal !
Olivier est à R10 (encore un piton laissé en offrande aux dieux de la montagne). Par les canaux d’une communication non-verbale, il veut probablement nous faire comprendre qu’il est heureux d’être là. Nous sommes sur la même longueur d’onde !
L11 démarre par un dièdre qui contourne par la gauche le mur blanchâtre raide bien visible sur la photo :
Thibaut prend de la hauteur et en termine avec L11 (6a qui ne se démérite pas). Derrière lui, le couloir et le glacier de Coste Rouge :
La lumière baisse inéluctablement. Elle entame avec l’ombre, une valse à trois temps qui anime les paysages. De gauche à droite, le Râteau, la Meije, le Pic Gaspard, la Barre des Écrins, et tout au fond le Mont Blanc :
Olivier à R12 commence à se demander s’il ne va pas devoir ressortir sa lampe frontale :
Petit crochet à droite, au départ de L13 (5c) :
Après L13, l’horaire ne nous a pas permis de poursuivre par les 3 longueurs de la sortie originelle. Nous avons emprunté la sortie utilisée lors du second parcours de la voie (et premier parcours à la journée) en 1999 par Stéphane BENOIST et J. ALINAT. Une petite erreur d’itinéraire au niveau de l’arête de Coste Rouge ( nous nous sommes décalés trop à gauche, il faut le faire quand même !!!) nous a fait perdre la course engagée contre la nuit. Résultat, nous avons été privés de la vue depuis le sommet. Nous nous consolerons par un bivouac mille étoiles une cinquantaine de mètres sous le sommet côté Sud :
Après une mini grasse mat’, l’heure du réveil a sonné :
Il existe peu d’hôtel avec une vue pareille. A nos pieds le glacier de l’Ailefroide, en face le glacier du Sélé, la pointe du Sélé (3556m) et la pointe des Bœufs Rouges (3516m), et au fond à droite le Sirac (3441m, au dernier plan) et les Bancs (3669m) :
La descente côté Sud de l’Ailefroide Centrale est encore délicate (sections de désescalade, rocher médiocre, un rappel de 50m). Nous sommes contents de la faire de jour. Voici le tracé approximatif de l’itinéraire que nous avons suivi :
Une fois déposés sur le glacier de l’Ailefroide, deux options s’offrent à nous : la banane à gauche (qui ne donne pas vraiment la banane justement avec un beau raidillon tout en glace ce jour là) ou la trace directe (eu égard aux contournements multiples de crevasses) en rive gauche du glacier. Nous optons pour cette seconde option (fainéants jusqu’au bout) avec une remarque notable : ne pas rester main gauche après le glacier comme conseillé par beaucoup de topos (2 rappels dans des roches moutonnées difficiles à trouver), mais retraverser main droite sous la langue terminale du glacier (vires, petites désescalades). Thibaut nous offre gentiment ce schéma beaucoup plus explicite :
Dans la joie et la bonne humeur, nous avons vécu une super aventure à 7 puis à 3 sur cette magnifique montagne. Merci à Thibaut et Olivier, au top !
Matériel spécifique conseillé:
– Bivouac conseillé pour ceux qui ne pensent pas faire partie de la famille des extraterrestres
– Casque double épaisseur
– Corde 2x50m
– Longe réglable
– 2 jeux de friends jusqu’au n°2 BD + 1 n°3 BD et 1 n°4 BD en option
– 1 jeu de micros
– 1 jeu de petits câblés
– 8/10 pitons variés plutôt courts