Eperon de la Tournette au Mont Blanc, approche par Miages et Bionnassay

Du 23 au 28 juin 2024, avec Marc Ceccanti, nous avons parcouru une ligne très esthétique pour nous hisser au sommet du Mont Blanc.

Nous avons rejoins le refuge Gonella en 3 jours par la traversée « royale » Miages – Bionnassay, puis nous avons gravi le très sauvage éperon de la Tournette avec un stop au bivouac Quintino Sella.

Il ne restait alors qu’à boucler notre périple jusqu’aux Contamines par les alpages de Miages et du « Truc ». Une immersion totale de 6 jours dans le massif du Mont Blanc à jongler avec la météo, les conditions et nos envies.

Départ samedi 22 à la mi-journée, je chope Marc chez lui. La météo annoncée est pour le moins incertaine. Dans ces conditions, c’est souvent la motivation qui fait la différence et la notre est à son apogée. Après un an de discussions sur le projet, on décide de partir et d’aviser au fur et à mesure. Le contrat : au mieux un hold up, au pire un renoncement, entre les 2 : recul obligatoire pour prendre les bonnes décisions.

Arrivée humide dans la soirée aux Contamines, on dévore le chili con carne concocté par Marc. Une bonne nuit de sommeil et c’est parti pour les Conscrits, pour notre première nuit en montagne avant de traverser les Dômes de Miages 3673 m le lendemain.

Premier stop à Tré la Tête pour lou pan bagna de rigueur et son pti kawa. Le point de rosée est toujours aussi bas mais au moins on ne souffre pas de la chaleur…

Plus haut, la choucroute s’épaissit et nous traversons la jolie passerelle avec la visibilité des grands jours.

Une petite éclaircie nous aura permis de contempler le magnifique cirque de Tré la Tête avant d’atteindre le superbe refuge des Conscrits. Un modèle du genre : salle matos confort, sas d’entrée, belle terrasse, nourriture au top, pioles parfaites, sanitaires, etc. Rien à dire, si : bravo.

Un petit cocon chaleureux pour nous rassurer de l’angoisse hygrométrique environnante. Heureusement, notre plan machiavélique est en marche et nous nous réveillons le lendemain sous une tempête de ciel bleu. Un peu de vent aussi, faut pas trop pousser.

La veille nos prédécesseurs ont tracé dans le bakin, et cela nous facilite grandement la tâche. Merci à eux. Nous voilà promptement au sommet de l’Aiguille de la Bérangère 3425 m, premier sommet de notre aventure, voir carte en fin d’article.

La descente sur le col de la Bérangère est comme un premier test alpin, il faut avoir le pied sûr et réfléchir à la négociation de quelques corniches.

La trace se fait plus pénible sur la traversée des Dômes, il y a eu moins de passage.

Et puis c’est l’heure de notre premier rayon de soleil depuis le départ ! Il fait du bien celui-là ! Marco nous l’immortalise.

Nous parcourons les Dômes en compagnie de 3 jeunes autrichiens doués, que nous ne quitterons qu’au Piton des Italiens le lendemain ! Nous voici au sommet W des Dômes de Miage 3670 m, le premier des 5.

Les courbes de la montagne sont vraiment superbes, c’est un régal. Sur l’arête les conditions sont à nouveau parfaites, le vent a sculpté son œuvre et nous profitons de cette ligne majestueuse.

Après avoir successivement foulé les 4 autres sommets des Dômes de Miage, la neige a bien transformé. Nous sommes vigilants sur l’arête de neige qui descend vers Durier. Nous avons à présent notre objectif du lendemain en visuel : l’Aiguille de Bionnassay 4052 m. On la traverse généralement par son arête S plutôt rocheuse puis E, c’est cette dernière qui en a fait la réputation.

Nous voici bientôt au mythique refuge Durier *smiley étoiles dans les yeux*. La quintessence du refuge de montagne : le plus typique et authentique que je connaisse. Le confort y est sommaire, surtout pour les gardiens : exigu, sans eau courante, etc. Mais les alpinistes de passage y sont superbement reçus. Il partageait ces caractéristiques avec le refuge de l’Aigle dans les Ecrins jusqu’à ce que celui-ci ne soit rénové en 2014.

En guise de bonjour, Marco, qui n’a pas réglé les arrhes avec le système approprié, s’alterque avec la gentille Manon !

Pendant cette petite soufflante bienveillante, David me présente leur moulin à laver ! Un modèle unique du genre !

Puis après un petit frichti bien mérité…

Nous nous faxons dans nos bannettes pour le sieston réparateur.

Météo exquise pour cette première journée en montagne, la suite s’annonce plus joueuse avec des orages annoncés dès la mi-journée. Nous décidons de ne prendre aucuns risques et partir très tôt pour traverser Bionnassay.

Bip bip, levé 2h30 pour le deuxième service : 1 table de 8 pour 16, priorité aux cordées qui montent au Mont Blanc alors que nous bifurquons vers Gonella au Piton des Italiens.

Marc est un peu dans le gaz pour ce premier départ matinal et nous attaquons les derniers. Il est très tôt et il n’y a aucun rush mais comme souvent en montagne quand il y a un peu de monde, mieux vaut être intercalé au bon endroit dans le train train des cordées pour pouvoir évoluer à son rythme. Au premier passage technique, nous voici en butée.

Bien heureusement, l’ambiance depuis la veille au refuge et l’avant veille avec certaines cordées, est très bienveillante et collaborative. Les cordées se replacent logiquement et nous retrouvons les jeunes autrichiens dans la partie vraiment grimpante de l’aiguille. La grimpe est divine dans la pénombre du jour qui se lève et les nuages qui s’accrochent encore à l’arête.

La neige est bien présente encore sur le caillou, cela rend l’escalade très esthétique mais aussi plus technique et nous gardons les crampons. Nous voilà au dessus des nuages alors que nous nous élevons vers le ciel.

Un petit passage à sensations donne du fil à retordre à notre caravane (ci-dessous). On a très envie de grimper dans le dièdre où le friend est positionné mais le passage passe bien sur les fines écailles voisines… bourrins s’abstenir…

Le terrain devient alors de plus en plus neigeux… et les couleurs sont fumantes !

La rocaillerie s’estompe peu à peu pour laisser place à l’une des lames de neige les plus connues de l’arc alpin. C’est splendide !

Une brève pause au sommet juste avant les premiers rayons de soleil et nous basculons déjà sur l’arête E légèrement descendante. Devant nous, la voie normale italienne du Mont Blanc qui fait la jonction avec le Dôme du Goûter puis l’arête des bosses bien visible ici et qui relie le Mont Blanc. Sur son flanc SW, on aperçoit une belle ligne identifiée en jaune ci-dessous et qui deviendra notre objectif : l’éperon de la Tournette.

Chacun sait à présent ce qu’il a à faire. La concentration est de mise, le moindre faux pas et la situation dégénère. Rien d’extrême techniquement mais il faut être présent.

Quelques minutes seulement ont passé et nous voici au Piton des Italiens, la croisée des chemins…

Un coup d’œil en arrière et c’est l’émotion de voir cette ligne si mythique qui nous faisait rêver maintenant parcourue…

Il est 7h lorsque nous entamons notre descente sur le refuge Gonella. On rallonge un peu l’encordement et Marc passe devant. Il imprime un rythme d’enfer et il nous faudra 1h30 pour atteindre le refuge…

L’accueil est dément, merci Mauro ! La pasta pomodoro tradizionale nous met bien et à présent nous avons la journée pour nous reposer et réfléchir à la suite… Plan A : on poursuit sur Monzino et l’Innominata intégrale, Plan B : la Tournette par Quintino Sella… Certains ont vraiment des choix cornéliens à faire dans la vie…

Les données de l’équation : on est mardi, la belle journée c’est jeudi, demain pourri, vendredi incertain… iso haut, beaucoup de neige dans le massif… Surtout on mélange bien tout ça et le verdict de la cordée tombe : on opte pour le plan qui nous paraît être le plus réaliste tout en gardant le caractère que nous recherchons pour sortir au sommet : sauvagerie, solitude, et grosse brasse coulée… Décision prise de partir le lendemain dans le couloir en face du refuge pour rejoindre le bivouac Quintino Sella, hub des lignes du versant SW du Mont Blanc.

Et en bonus, un nouvel itinéraire à défricher ce qui rajoute toujours une certaine excitation…

L’accès au bivouac Quintino Sella est relativement court et nous décidons de ne pas nous presser pour partir dans le couloir d’accès qui a une expo plein W donc qui chauffe tard dans la journée.

La traversée du glacier du Dôme est une expérience, on louvoie entre de belles crevasses et l’on passe en face d’un dégueuloir bien abo. En réalité, le passage n’est objectivement pas très exposé car nous profitons d’un renflement de la langue glaciaire centrale et de crevasses béantes qui engloutissent tous les efforts de la gravité.

Nous parcourons le couloir vers 6h, l’heure du regel maximum en cette saison. Nous profitons d’une goulotte profonde en neige dure creusée par les coulées de neige lourde.

2h15 se sont écoulées lorsqu’on nous arrivons à notre magnifique bivouac. Un des plus vieux refuge des Alpes !

On a l’impression d’entrer dans un musée !

Il est superbement équipé : terrasse sympa…

Joli mobilier, de l’électricité…

Seul souci, il est implanté sur un terrain très instable et la façon de le sécuriser actuellement fait un peu peur… Il a pris de l’angle, n’est plus étanche et le parement en pierre se fait la malle… Quel dommage…

Après une belle après midi de « chill »…

Nous résumons notre sentiment sur le journal de bord comme suit.

Toute l’après midi, les coulées de neige lourde se succèdent et nous y sommes très attentif. Demain nous devrons traverser le couloir en face du bivouac et nous croisons les doigts pour un regel correct.

On décide de faire un levé à minuit pour la grande journée de notre périple.

Dès que nous sortons de nos bannettes, nous sommes attentifs à tous les indices : nuit clair, neige recaillée, aucuns bruits de coulée, etc. Vers 00h45, nous sommes prêts et sereins pour nous lancer dans le couloir. La neige y est profonde et c’est physique mais nous nous sentons en sécurité et progressons relativement bien.

Nous voilà sur la selle neigeuse en rive droite du glacier du Mont Blanc… notre éperon se dévoile enfin. Nous contournons quelques trous pour accéder au glacier et la traversée se déroule sans encombres, le glacier est bien bouché. Tout comme la rimaye où nous constatons un énorme dépôt d’avalanche, témoin d’une puissance qui fait un peu peur…

Les pentes d’accès à l’éperon sont en très bonnes conditions et nous parvenons vite à son attaque vers 4000 m. Nous sommes en train d’exploser le taux ascensionnel horaire que nous avions envisagé (175 m/h). Les premières lueurs sont l’occasion de faire quelques photos.

Le ciel s’est bien chargé et on espère que ce n’est que passager, en tous cas ce n’est pas conforme aux prévis.

L’éperon est très enneigé mais le terrain s’y prête bien et cela ne gêne pas la progression. On a tous les 2 la frite, ça avance fort, c’est dément. De temps à autre je lance un petit « ça va Marc ? », on me répond : « bah oui et toi ? ». Okay okay, désolé de demander…

 

Alors que nous nous élevons, la peinture commence à prendre de la couleur, trop classe.

En face, le col Emile Rey reçoit ses premiers rayons de soleil sur l’arête du Brouillard.

Jusque vers 4500 m, nous sommes bien abrités du vent, c’est très confortable.

Et puis la sortie sur la première grande arête neigeuse nous expose.

 

Il faut activer le mode combat pour sortir sur l’arête sommitale. Le ressaut final est méga givré et nous impose de sortir dans des goulottes difficiles à protéger de manière conventionnelle… On apprécie le 2ème piolet.

Le vent s’est renforcé et les effets topographiques locaux nous renvoient de la neige dans toutes les directions, spindrifts par le haut, dynamique venturisé par le bas, … on est dans ce qu’on pourrait appeler la tourmente…

9h, 4700 m, nous sortons enfin sur l’arête des bosses et les premiers rayons de soleil du jour qui nous lèchent la face sont les bienvenus pour faire fondre le givre qui a pris sur nos cils… Ce dernier ressaut est court mais nous aura bien donné du fil à retordre.

Au calme sous le vent du sommet, on retrouve nos doigts et nos pieds, c’est le pied, c’est le cas de le dire !!!

Ce contraste de sensations si prononcé entre 2 lieux séparés géographiquement de quelques mètres seulement est incroyable. Tout comme la vue, que nous savourons.

Le petit selfy de rigueur témoigne de notre émotion.

Et il est temps de se laisser glisser jusqu’au refuge du Goûter. La vue est toujours aussi saisissante de là-haut.

Et aujourd’hui le ciel a du caractère avec la nébulosité. Au détour du Dôme du Goûter, la belle Bionnassay parcourue 2 jours auparavant se dévoile. Magique !

Après une nuit réparatrice au refuge du Goûter, il ne nous restait plus qu’à profiter pleinement du voyage en bouclant notre périple à pied jusqu’aux Contamines.

L’occasion de contempler du bas toutes les montagnes parcourues par leurs arêtes !

Un énorme bravo à Marc pour avoir imaginé ce tour magnifique et à nous 2 de l’avoir adapté sur le terrain.

Ci-dessous, un tracé approximatif et les stats de l’aventure.

 

 

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