Les éléments fondamentaux pour comprendre la solidité et la résistance d’une cascade de glace.
Etude dirigée par Jérôme Weiss : directeur de recherche au CNRS
Merci à Jérôme Weiss de nous permettre de relayer ces informations capitales pour les
pratiquants de la cascade de glace !
Introduction :
Pour que les cascades de glace se forment il faut qu’il fasse froid !
Jusque-là le sens commun semble respecté.
A partir de cette considération triviale on serait tenté, intuitivement, d’en
déduire que plus les températures sont basses, plus les conditions sont favorables à la
pratique de la cascade de glace !
Est-ce si simple ?
L’étude a principalement portée sur 2 cascades du glacier d’Argentière :
Shiva Lingam » et Nuit Blanche, durant 3 hivers.
2 structures verticales ont été choisies car ce sont celles
qui présentent le plus de risques d’effondrement.
De la naissance progressive, à la fin souvent brutale de ces cascades de glace.
Les outils qui ont permis de prendre de mesures, sont, la mise en place :
– d’appareils photos fixes, captant 6 images/jour à intervalles réguliers
– de prélèvements de carottes de glace
– de capteurs de pression interne et de température de la glace, permettant d’analyser
l’évolution des efforts mécaniques subis par la structure au cours de la saison, en lien avec
l’évolution des températures de l’air « sous abri » et de la glace.
– d’étude d’impact par indenteur (outil permettant de reproduire la frappe du piolet).
Vocabulaire retenu pour cette étude :
– stalactite : fixée au rocher uniquement en son sommet
– free standing : colonne de glace ancrée à ses deux extrémités ; donc avec une partie où on
peut tourner autour.
– cigare : collé au rocher sur toute sa longueur.
Formation progressive des structures de glace :
Les cascades de glace verticales se forment par agrégation de très nombreuses stalactites
d’un diamètre variant de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres.
La structure globale obtenue ainsi est complexe, parcourue de canaux et de conduits le long
desquels l’eau liquide peut s’écouler.
Le bon sens commun est respecté ; plus il fait froid, plus les cascades se forment !
Toutefois, cette évolution n’est pas linéaire, et après une croissance rapide en début de saison,
celle-ci sature ensuite, environ un mois pour les cascades étudiées.
Ceci s’explique par le pouvoir isolant de la glace.
Lorsque l’épaisseur de glace est suffisamment importante, celle-ci isole
l’eau liquide circulant au sein de la structure, le long des conduits cités précédemment, du
froid de l’extérieur, et le volume de glace n’augmentera plus que très lentement.
Sauf à ce que des fractures apparaissent, permettant à l’eau liquide de résurger en surface.
Les contraintes :
Ce sont les efforts mécaniques en traction qui tirent sur la glace jusqu’à son point de
rupture.
Plusieurs mécanismes génèrent de telles contraintes dans les cascades ; lesquels
sont à l’origine des effondrements ?
– Le poids propre de la structure. Sur un cigare collé au rocher sur sa longueur ces contraintes
auront quasiment disparues.
Sur les stalactites et free-standing cette contrainte génère des efforts de traction juste sous
le point d’ancrage sommital………là où on observe habituellement les ruptures !
Toutefois, un calcul très simple indique que les contraintes ainsi engendrées sont bien trop
faibles pour atteindre la limite de rupture de la glace, et le poids d’un grimpeur sera encore plus
négligeable. Là n’est donc pas l’explication.
– Le cycle gel-dégel. En fin de saison 2008 et 2009, lors d’épisodes climatiques relativement
doux, nous avons pu observer grâce à nos capteurs installés dans « Nuit Blanche » des
variations brutales des contraintes internes se produisant chaque jour vers 10h du matin et
vers 18h.
La température de la glace, d’une fraction de degré en dessous de 0°c la nuit,
montait à la température du point de fusion entre 10h et 18h, ce qui laisse penser qu’il s’agit
de ces cycles gel-dégel.
Toutefois, ces fluctuations de contraintes peuvent se produire un peu partout dans la structure,
sont très locales, et ne semblent pas déclencher de ce fait une fracturation et un effondrement
général.
– La contraction-dilatation thermique de la glace s’avère être la contrainte la plus importante
et donc la plus dangereuse ! Comme la quasi-totalité des solides, la glace se dilate lorsqu’on
la réchauffe, et se contracte lorsqu’on la refroidie.
Imaginons une colonne free-standing sous l’effet d’un refroidissement important. La colonne
aura alors tendance à se raccourcir, ce qui est impossible du fait des points d’attache en
haut et en bas !!
Le résultat de ce conflit est la mise en tension verticale de toute la structure.
Dans cette configuration les contraintes deviennent maximales notamment sous
le point d’ancrage sommital.
Un calcul très approximatif indique qu’une chute théorique instantanée de 2°c de la
température de la glace peut suffire à atteindre la limite à la rupture de la structure !
Dans la réalité la vitesse de refroidissement sera plus lente, d’une part car la chute des
températures de l’air n’est jamais immédiate, et d’autre part car, du fait du caractère isolant de
la glace, la glace située en profondeur se refroidira avec un décalage dans le temps.
Donc, en ce qui nous concerne cela correspond à un refroidissement de l’air aux alentours de 6
à 8°c par heure. Ce qui n’est pas inhabituel au cours d’un hiver.
A noter :
– lors d’un refroidissement, des contraintes de traction apparaissent en surface du fait des
différences : de glace froide en contact avec l’air ambiant, et celle en profondeur plus isolée
thermiquement.
Dans ce cas la frappe des piolets suffit à faire apparaitre des fissures.
– un refroidissement important sur 5 ou 6 jours ne met pas en tension la structure de
manière significative.
– un réchauffement brutal sera moins critique, car il génèrera des efforts de compression
défavorable à l’initiation et la propagation de fractures.
Quelques clés de lecture du milieu :
– redoux marqué, plusieurs jours avec des températures positives jours et nuits, entrainent
dans la plupart des cas un décollement de la glace du rocher et des risques de déstabilisation
importants.
– redoux modéré, une succession de journées assez douces, maximum +5°c, entrecoupées
de nuits relativement fraîches, quelques degrés en dessous de 0°C semble être une situation
favorable.
Les contraintes internes liées au cycle gel-dégel ne semblent pas déstabiliser la
structure.
De plus, une glace « chaude », dont la température reste toujours proche de 0°C
aura un comportement très ductile, peu favorable à la propagation de fracture et
notamment lors de la frappe des piolets.
– refroidissement intense et brutal, pour les Alpes par exemple l’arrivée d’un front froid
venu du Nord doit alerter les pratiquants.
En effet cette situation est favorable à la formation des cascades pas forcément à la grimpe !
Il engendre des efforts de tension dans la structure en particulier les free-standing.
De plus une glace froide sera favorable à la propagation des fractures, de manière spontanée
ou sous l’effet de la frappe des piolets !
Faits observés sur Shiva Lingam en 2008 et 2009 : l’après-midi du 20 janvier 2008, il fait
+6°c à 2100m, Shiva est bien là !
Un refroidissement brutal a lieu dans la nuit : à 8h30 le lendemain matin,il fait -9°c, Shiva
n’existe plus :
– refroidissement intense mais étalé sur plusieurs jours, c’est moins critique car les efforts
mécaniques induits par la contraction lente de la glace peuvent alors être relaxés par la
plasticité.
Toutefois la glace sera cassante sous les coups de piolets et sera relativement
fragile.